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Centenaire de la naissance de Louis Althusser                 (1918-2018)

L’althusserisme, histoire d’une pratique militante communiste d’aujourd’hui.

 

Louis Althusser fut sur une période de 20 ans, du début des années 60 au début des années 80, un acteur essentiel de la scène intellectuelle française, européenne et mondiale. Suite au meurtre de sa femme, alors que tout semblait le condamner à entrer dans l’enfer du rejet, puis par absence de procès, dans le purgatoire de la mise à l’écart, il ouvrit une nouvelle période de son existence. Il entreprit, seul, un travail d’introspection sur ses actes et son comportement, renouvelant la problématique de l’enfermement psychologique individuel du maniaco-dépressif, mais aussi celle du sujet de droit face à la prison et l’asile. Il fit ainsi surgir le point de vue intellectuel du patient (coupable et victime) aux côtés de ceux des critiques philosophiques des institutions répressives comme Michel Foucault, ou ceux des cliniciens comme Jacques Lacan. Nous sommes entrés depuis sa disparition dans une troisième période, où ce sont, soit, d’anciens compagnons de route qui ont décidé de poursuivre sa problématique, donnant lieu à une polysémie d’interprétations, soit, de jeunes philosophes et chercheurs en sciences humaines et sociales qui ont la volonté d’exhumer un grand nombre de ses écrits déposés à l’IMEC [Institut de Mémoire de l’Edition Contemporaine] . Textes jamais encore publiés, publiés par morceaux, voire publiés uniquement en langues étrangères (essentiellement : espagnol, italien, etc.). Aujourd’hui, il existe de nombreux sites consacrés à la problématique althussérienne dans le monde, notamment des sites universitaires anglo-saxons, Louis Althusser aura réalisé l’exploit, même après sa mort, de rester au centre du questionnement progressiste et révolutionnaire contemporain.

 

Louis Althusser, est née le 16 octobre 1918, mort le 22 octobre 1990. Il fut un militant du P.C.F de l’après guerre jusqu’à sa disparition, il fut aussi le compagnon d’Hélène Rytmann, résistante communiste et intellectuelle sociologue. Il forma toute une génération de jeunes intellectuels qu’il inspira en tant que professeur de philosophie et répétiteur (Caïman) à l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’Ulm, il y passa l’essentiel de sa carrière professionnelle jusqu’au drame. Dans le cadre du débat interne du PCF, il joua un rôle intellectuel important pour armer idéologiquement l’aile gauche du parti, évaluer de façon critique et révolutionnaire l’apport et le rôle des Etats socialistes, ainsi que pour donner un contenu cohérent au concept de « déviation stalinienne », qu’il caractérisa comme une déviation de « droite » du léninisme cherchant à justifier le tournant centriste de l’Etat soviétique stalinisé, déviation qui imprima sa marque à tout le Mouvement Communiste International. Il permit à toute une génération de jeunes militants, dont je fais partie, de se former au marxisme et à la lutte interne contre cette déviation s’exprimant jusqu’au plus au sommet de notre parti. Son action s’exerça aussi contre le gauchisme notamment contre le trotskisme et le social-démocratisme révolutionnaire.

 

Il joua un rôle central au moment du 22ème Congrès du PCF en 1976, pour lutter contre l’abandon de la « Dictature du Prolétariat ».C’est essentiellement aujourd’hui, que l’on redécouvre son texte central sur cette question, publié dans son œuvre posthume « Les Vaches Noires » aux Presses Universitaires de France, alors qu’au moment du 22ème Congrès, la majorité de l’U.E.C et des J.C, dont j’étais membre, n’ont eu à leur disposition que l’excellent ouvrage d’Etienne Balibar : « Sur la Dictature du Prolétariat ». Il avait en effet cédé à la pression de ses camarades en ne publiant pas en français, la conférence qu’il avait faite à Barcelone sur le sujet, texte qui constitue désormais un chapitre de l’ouvrage posthume, ceux-ci le persuadant que le parti irait à la scission et à l’exclusion d’une aile gauche bien trop faible face à cette « Nakba » intellectuelle du communisme qu’a constitué le 22ème congrès de 1976.

 

 On ne peut dans un article de revue, rendre compte de la richesse d’une œuvre comptant des dizaines de volumes ou de manuscrits. Je rappellerai seulement ici le début de son œuvre à travers certains de ses textes, qui frappèrent tant le monde intellectuel au début des années 60, à commencer par « Lire Le Capital ».

 

Cet ouvrage, composé de 4 tomes, rend compte d’un séminaire tenu à Normal- Sup Paris au début de 1965 et publié l’année même. La réédition de 1968, utilisée pour cet article, tient compte d’un certain nombre de rectifications qui sont apparues nécessaires aux yeux d’Althusser dont la contribution constitue le tome 1 et la moitié du tome 2. Répondant aux critiques faites à l’édition originale, Althusser considère que son œuvre se différencie de l’idéologie « structuralisme », comme courant philosophique, en ce qu’elle réaffirme que le concept de « combinaisons » chez Marx n’a pas pour objet de développer une combinatoire. Ceci signifie que le modèle marxiste n’a pas pour objet de s’intéresser à un réagencement d’éléments fixes dans une nouvelle configuration, ni de calculer le nombre de configurations possibles. Des concepts comme ceux de « détermination en dernière instance » ; « surdétermination » ; « domination » ; « procès de production » interdisent toute possibilité de multiplier les combinaisons possibles, de même que tous les types de topiques.

 

En mettant en avant, le concept d’Idéologie, Althusser réaffirme l’originalité du type de lecture qu’il propose de l’ouvrage de Marx. Avec son équipe, il ne lit pas le « Capital » en économiste pas plus qu’en historien, ou en logicien, il le lit en philosophe. Autrement dit, il le lit avec les yeux de la philosophie, dont il considère à l’époque qu’elle peut prétendre au statut de « science des sciences ». Pour Althusser, elle serait « science » car elle tient sa méthode et son objet de la mise en œuvre d’une épistémologie [Etude critique des concepts et méthodes d’une ou plusieurs sciences] qui se veut l’instrument d’interrogation des concepts utilisés par chacune des sciences au regard de son objet. C’est pourquoi Althusser se place dans la lignée des Gaston Bachelard, Georges Canguilhem, Jean Cavaillès, mais aussi de Koyré qui ont tous appliqué ces principes à leurs champs d’études et qui ont été ses professeurs ou inspirateurs intellectuels. Il se réfère également à un autre auteur, qu’il considère comme l’épistémologue de la psychanalyse : Jacques Lacan. « L’inconscient est structuré comme un langage », nous dit Jacques Lacan, c’est comme cela qu’Althusser et ses camarades, veulent « Lire le Capital », il s’agit de faire surgir une chaîne syntagmatique [rapports entre les unités successives de l'énoncé et leur hiérarchisation dans la production de la phrase] de concepts forts qui permettent derrière le discours latent de faire surgir le discours manifeste. C’est une ambition commune qu’il partage avec les linguistes, notamment Ferdinand de Saussure, et son décryptage du signe comme interface entre le signifiant et le signifié. Cependant l’épistémologie telle qu’il la conçoit, une épistémologie « science des sciences », présente le défaut, selon lui, au moment où il rédige son autocritique, de survaloriser le signifiant sur le signifié, défaut déjà mis en avant par nombre de linguistes. Autrement dit, il ne peut exister d’épistémologie réelle et scientifique que concrète et « soumise » à la science qu’elle prétend saisir. Il y a donc une multitude d’épistémologies concrètes possibles, travaillant le « signifié » de leurs domaines respectifs. Ce que présuppose Althusser, c’est que la conceptualisation, la production d’un « signifiant » d’un domaine particulier, peut donner lieu à un métadiscours servant de référentiel pour lui construire un avenir possible ou une représentation plus large que ce qu’il incorpore ( par métaphore, métonymie, etc. et autres figures du discours), ici et maintenant. C’est pourquoi Althusser fait référence au concept d’Idéologie, qui intègre la référence à la théorie du « reflet », agrégeant prénotions, représentations voire illusions, sur le domaine étudié. Il n’y a pas de production d’un signifiant conceptuel donné, vis-à-vis de son domaine d’étude le signifié, sans scories, ajouts, etc. idéologiques.

Plus tard, dans un autre texte, il cherchera à illustrer cette idée, en partant de l’étude de l’idéologie juridique. Pour Althusser, cette dernière n’est pas contenue mécaniquement et intégralement dans la mise en œuvre du droit réel. L’idéologie juridique, par exemple, l’idéologie des Droits de l’Homme, n’est pas contenue entièrement dans le code civil et les codes annexes, elle est bien plus large que cela. C’est au moyen du caractère « impérialiste » de l’idéologie qu’un champ culturel ou scientifique permet une extension de son domaine à des domaines proches.

Exemple d’application :  L’axe syntagmatique des Droits de l’Homme, où se développe sa logique grammaticale sociale, sociétale et humaine, permet par analogie, métaphorique et métonymique, etc. [voire « Les figures du Discours » de Fontanier, ancien manuel scolaire des classes de lettres à l’époque des humanités classiques], de développer un axe paradigmatique où l’on passe du concept d’Homme (i.e : homme, femme, enfant, hermaphrodite, malades et handicapés etc.) par extension, à celui d’être vivant, par exemple, à la construction d’un droit des animaux. Ces droits à leurs tours vont déployer leurs propres axes syntagmatiques, permettant ainsi de développer un arbre du Droit, engendrant autant de ramifications possibles que cette méta-catégorie, peut en contenir. Ensuite, de façon dialectique, partant de ces bases d’un droit de la nature et du vivant, à nouveau par extension, l’idéologie l’étend à ce qui a cessé de vivre [droit des morts, respect des sépultures], le passage d’un droit du sujet (être vivant) à un droit de l’objet (chosifié) est ainsi établi, à qui on reconnaît ses anciennes qualités. Exemple : le droit de l’entrepreneur devient le droit des entreprises (du droit du sujet, au droit de l’objet).

 

Comme nombre de ses partisans lui avait reproché de ne pas soutenir assez fermement le critère de la pratique. Critère mis en avant par Mao dans ses œuvres philosophiques, pour lutter contre la tendance à produire une théorisation hors-sol. Dans son ouvrage « Pour Marx » paru en même temps que la première édition de « Lire le capital », Althusser a tenté d’y répondre positivement, en affirmant que le métier de philosophe, consistait comme tous les métiers, à mettre en œuvre une pratique qui pour les philosophes était une « pratique-théorique ». La tâche des philosophes consistant à reprendre l’ensemble des concepts scientifiques pour les rattacher aux grands courants qui traversent la philosophie : Empirisme, sensualisme, positivisme, logicisme, agnosticisme etc. Eux-mêmes rattachés aux deux courants majeurs qui structurent la polarisation des enjeux : l’Idéalisme et le Matérialisme. Il prétendait donc dans cet ouvrage, que le métier de philosophe consistait à construire une Théorie des « pratiques-théoriques ». Dans cette nouvelle édition de « Lire le capital », il reproche à ce concept d’être encore trop théoriciste, et donc trop idéologique en cherchant à construire une méta-connaissance.

 

De quoi, le « Capital » de Marx, est-il l’objet théorique ? Pour Althusser, le Capital, n’est pas une nouvelle production issue de l’évolution de la connaissance de l’économie, un développement plus complet et plus juste des concepts forgés par les économistes classiques. En effet, il y a dans le Capital, des sections, chapitres ou sous-chapitres qui échappent aux enjeux et débats des économistes. Pour exemple, la fameuse section 8 du livre 1 qui a pour titre « L’accumulation primitive du capital ». Là, Marx, ne construit pas un raisonnement économique, mais rend compte d’un phénomène historique : comment la bourgeoisie, notamment anglaise, a historiquement rendue possible, la concentration de forces productives d’un côté, et de l’autre, exclu de la propriété des moyens de production une masse grandissante d’agents économiques, les forçant à devenir salariés car n’ayant rien d’autre que leur force travail à vendre sur le marché.

 

Les chapitres du Capital portant sur le « Vol des bois » ou ceux sur les « Enclosure –Acts», etc. sont des chapitres historiques, n’abordant pas une démonstration économique. [ Paysans pauvres ramassant gratuitement le bois tombé à terre dans les forêts ; barrières installées autour des champs communaux vendus à des particuliers. Autant d’analyses qui donnent lieux aujourd’hui à la moderne théorie des « Communs », stade de socialisation précapitaliste, que la bourgeoisie du 19ème siècle s’est efforcée de privatiser, alors que la relecture aujourd’hui qui s’impose, y compris jusqu’au plus haut sommet de notre parti, veut y voir une cause efficace d’actualisation de la pensée socialiste-utopique, qui a précédé le marxisme, et qu’il faudrait se réapproprier. Toute cette opération étant conduite dans le but de substituer à l’ancienne analyse marxiste et léniniste, cherchant à abolir la propriété privée sur un maximum de moyens de production, un univers où il ne s’agirait plus pour les communistes que de protéger le « naturel » qui n’a pas encore été privatisé.]. Ces chapitres mettent en avant, l’idéologie des droits de l’Homme, qui prétend au nom de l’humanisme, imposer juridiquement un droit naturel à propriété et donc organiser concrètement, au moyen de cette fiction juridique, l’expropriation des non-propriétaires( paysans sans terre) pour les conduire obligatoirement( lois contre le vagabondage) vers les villes, en particulier vers des lieux d’enfermement légaux, où ils seront contraints au travail forcé (Working- House) mais aussi à empêcher qu’ils puissent y réagir en cherchant à s’organiser. Par exemple, dans le cas français, grâce à la loi « Le chapelier », qui porte sur l’interdiction d’association professionnelle, loi votée au nom de l’Idéologie des droits de l’homme, en vue pour l’individu d’exercer son droit d’entreprendre, et donc de se protéger des actions collectives, cette loi remplie une toute autre fonction. Cette loi déclare au niveau « idéologique » : vouloir lutter contre l’ancien système des corporations, mais elle sert surtout à interdire aux ouvriers le droit de se syndiquer.

 

Pour Althusser, en reconstruisant, toute une série de conditions d’évolutions  ou de ruptures, dans l’exemple du droit ; dans la description du passage de la manufacture à la fabrique ; etc, Marx aurait surtout écrit un ouvrage d’Histoire. Pour le philosophe, le Capital de Marx a pour objet l’évolution historique des conditions d’exploitation et les formes de résistances politiques et sociales qu’elles produisent.  Histoire des technologies, histoire du temps économique pour organiser le vol du temps des exploités (plus-value relative, plus-value absolue), histoire du profit : d’abord commercial, puis financier et enfin industriel, avant de faire retour, sous Lénine, à la domination absolue de la finance. Histoire des revenus, rente foncière, traitement, émolument, part du profit devenant paye, paye devenant salaire, ceci dans un unique cas, celui où en lien avec le marché, il permet de dégager de la plus-value, etc.

 

C’est sur cette idée du lire, comme moyen de reconnaître une harmonie et/ou une logique au monde, qu’Althusser va se distinguer de la tradition historique des intellectuels progressistes qui accordent à Hegel un rôle « surdéterminant », dans la représentation de l’Histoire chez Marx. Hegel a vu dans l’Histoire, une logique d’essence dialectique (titre d’un de ses ouvrages : «La logique dans l ’Histoire»).Un grand nombre d’intellectuels marxistes occidentaux vont se référer à cet hégélianisme de Marx, pour essayer de construire un historicisme dialectique du progrès dans l’histoire, historicisme qui s’oppose à celui des économistes classiques qui eux en ont une représentation fixiste, à travers la reproduction d’un « même », ceci à travers les catégories abstraites que constituent : le profit, la rente, la paye, etc. Toutes ces catégories étant déjà présentent depuis l’apparition des premiers marchés dans les villes de l’antiquité, l’analyse économique bourgeoise va donc éterniser son règne à travers l’histoire, en ne faisant porter son analyse que sur le seul marché. Ceci lui permet de produire un « fixisme » idéologique non dialectique, affirmant un principe de non contradiction, une chose étant une chose et ne pouvant déboucher sur son contraire, au moyen du développement d’une logique formelle, elle va donc procéder à une mathématisation de son champ pour recouvrir l’origine philosophique des concepts qu’elle utilise.

 

Pour les économistes bourgeois, l’économie est la science d’un fixisme qui se reproduit à travers le temps, à travers la permanence de ses catégories. A l’opposé, pour Althusser, tout le travail de Marx a été de démontrer que derrières ces catégories abstraites se cachent d’autres catégories qui se sont modifier à travers le temps. Ainsi au stade du capitalisme, la rémunération du travail cache la catégorie de rémunération de la force de travail. Ce changement de définition d’une seule catégorie à un effet immédiat sur les autres catégories présentées comme fixistes par l’économie bourgeoise. Par exemple, la paye perçue par le travailleur peut devenir ou non, un salaire, suivant qu’elle rémunère un travailleur devenant productif par exploitation, ou au contraire continuer de rester un revenu, part d’un autre revenu déjà réalisé (essentiellement du profit). Autrement dit, la paye ne devient salaire qu’en fournissant un surcroit de valeur à la marchandise, qui ne résulte pas de sa venue au marché, profit commercial, qui ne résulte pas non plus du prêt qui a rendu possible sa réalisation, profit financier, mais qui résulte directement de l’exploitation du travailleur et est réalisée au moyen du marché. Profit que l’on appelle profit industriel, dont le cœur essentiel est constitué par ce que Marx appelle Plus - Value ou Survaleur. De même en est-il pour Marx de la théorie de la rente, qui tout comme le profit est présentée comme un fixisme historique par l’économie classique. Rente qui émanerait de la différence de rentabilité de la mise en culture de nouvelles terres : rente différentielle, rente marginale, qui ne pourraient conduire chez Ricardo mais surtout chez Malthus, qu’à l’Etat stationnaire. Une société incapable de nourrir sa population du fait de sa croissance démographique, et de la dimension limitée des terres encore disponibles. Marx a montré qu’il existait aussi une rente issue de l’exploitation des salariés agricoles, et que l’industrialisation de la terre pouvait être une solution à l’explosion démographique, qui se nourrit de la pauvreté. La loi d’Engel (et pas d’Engels) démontrant que plus un revenu augmente plus la part consacrée à la nourriture dans celui-ci diminue, de même que plus la situation financière des familles s’améliore, plus le nombre d’enfants diminue. Si on veut diminuer la population, il faut augmenter son bien-être.

 

La pensée d’Althusser peut être définie comme un anti-hégélianisme, en même temps qu’un « anti- humanisme » théorique. Ce sont ces deux positionnements qui vont faire le plus réagir autour de lui. Althusser va reconnaître à Hegel un rôle dans l’évolution de la pensée de Marx, puisque jeune philosophe ce dernier va faire partie d’un groupe qui se réclame expressément de sa pensée, mais pour en produire une lecture plurielle : « Les Jeunes Hégéliens », cependant qu’Althusser va distinguer dans l’œuvre de Marx plusieurs périodes. Une période d’inspiration très hégélienne qui constitue les œuvres de jeunesse de Marx (découpage qui est resté dans le débat intellectuel actuel, puisqu’on continue de parler de « jeune-marxisme ». Voir le titre d’un film de Raoul Peck : « Le Jeune Karl-Marx »). Une période intermédiaire, où Marx cherche à sortir de l’hégélianisme, pour le remettre en cause, qui se caractérise par l’utilisation d’un vocabulaire hégélien dans la construction d’une logique anti-hégélienne, en même temps qu’apparaissent chez lui de nouveaux concepts n’ayant rien à voir avec l’hégélianisme. C’est la période, centrale, de la fameuse « coupure épistémologique », «Coupure » qu’Althusser, par la suite ne cessera de déplacer, puis de complexifier. Marx y développe une épistémologie, une critique scientifique des concepts, qu’il veut récupérer de chez Hegel, mais pas seulement (chez Adam Smith, chez Ricardo, mais aussi chez Spinoza, etc.), pour construire sa propre représentation du monde. Enfin, une dernière période où Marx devenu mûr peut pleinement développer une représentation du monde qui lui est totalement originale et propre ; c’est la période de l’écriture du Capital. C’est à ce titre, qu’Althusser se consacre à sa lecture avec toute son équipe, car il considère que c’est seulement dans cet ouvrage que l’on peut vraiment obtenir l’essence de la pensée révolutionnaire de Marx, en particulier dans le livre premier. Il en publie d’ailleurs une préface dans une édition de Garnier-Flammarion.

Car Marx ne se contente pas, pour Althusser, dans cet ouvrage d’y construire une théorie neuve avec des concepts neufs, il y applique une gnoséologie, une théorie de la connaissance, qui rompt avec l’Ontologie, principe philosophique présentant l’existence de l’être, « l’existant », comme  un produit d’une logique pure et parfaite, de même que Marx rompt avec la logique dialectique hégélienne du concept, qui unifie l’être et la pensée, au sein d’un « discours » historique. Discours qui certes devient par là même un monisme, une source originelle unique de représentation, ce qui le rapproche du marxisme, mais qui attribue en dernière instance le pouvoir de création à l’Idée devenant source originelle de la production du concept.

 

«L'anatomie de l'homme est la clef de l'anatomie du singe » rappelait Marx, Althusser reprend cette assertion, pour réaffirmer qu’il ne faut pas partir du « singe » (i.e : de la forme primitive, ce qui oblige à affirmer la présence d’une Origine, source de l’Ontologie, valeurs très présentent dans l’hégélianisme et le jeune-marxisme), pour comprendre comment Marx est arrivé à la conception et l’écriture du Capital. C’est au contraire en partant du Capital, que l’on peut comprendre comment certains concepts, neufs, ou encore exprimés sous la « forme » hégélienne (la « gangue » hégélienne comme dit Marx), nous empêche comme le demandait Marx, de « remettre la dialectique sur ses pieds ». Ce n’est donc pas de la puissance originelle du concept hégélien que nait la production théorique marxiste, développant par la même toute sa capacité ontologique, c’est au contraire, de l’analyse historique des contradictions matérielles d’un mode de production, mis à jour par Marx, que la production conceptuelle qui en  résulte se révèle dans un rapport d’analogie, avec la dialectique hégélienne. Autrement dit, il y a une inversion des sources dans l’expression matérialiste du marxisme, qui fait du concept une extension du matériel historique, une nouvelle forme analysée de la matière et pas comme chez Hegel, son inverse, une pleine réalisation matérielle de l’Idée contenue dans la dialectique du concept.

 

 

La problématique anti-hégélienne de l’althussérisme fait écho aux enjeux contemporains de l’anti-ontologie de la succession des modes de production. Par exemple, l’ontologie hégélienne de développement du capitalisme comme produit du féodalisme, rendait intellectuellement difficile, la compréhension du développement du capitalisme en Chine. En effet, une certaine analyse marxiste traditionnelle, poursuivant cette logique, avait pris l’habitude d’expliquer le non - développement de la Chine par l’existence en son sein d’un mode de production asiatique, mode de production exceptionnel (sauf en Egypte), qui aurait fait stagner l’accumulation du capital dans ces pays. Ceci en comparaison d’une autre société asiatique, le Japon, qui elle aurait connu un mode de production féodal comparable à l’Europe, ce qui expliquerait mécaniquement pourquoi le capitalisme s’y est développé. Ce que l’histoire de la révolution chinoise a prouvé, c’est qu’il n’existe aucun fatalisme, aucune histoire qui par nature (ontologie) empêcherait de rattraper, détourner, etc. une phase historique. « L’histoire progresse toujours par ses mauvais côtés » avait déjà réaffirmé Marx, principe qu’Althusser aimait à citer. Le non-développement économique intrinsèque de la Chine a favorisé en contrepartie la victoire sur son sol d’un impérialisme colonialiste, notamment américain et européen, impérialisme qui a introduit la logique de « l’efficace » capitaliste non pas de façon naturelle mais forcée, permettant d’engendrer son opposé, l’apparition d’un parti communiste. Celui-ci n’a pas, lui non plus, suivi le schéma classique de développement du projet révolutionnaire en partant des villes et des usines. Schéma qui fait écho dans l’hégélianisme-marxiste, en miroir, au développement naturel du capitalisme, schéma qui pour mettre en œuvre son évolutionnisme ontologique voulait impérativement poursuivre les insurrection citadines, du type Canton et Nankin à la fin des années 20, reproduisant le modèle russe des soviets. C’est en partant de ce type de pseudo raisonnement dialectique empreint d’hégélianisme que les trotskistes ont reproché au P.C d’avoir abandonné les villes au profit des campagnes. Car le P.C rompant avec l’évolutionnisme hégélien a choisi la voie du retour dans une campagne archaïque, dominée par des féodaux et les seigneurs de la guerre, sous influence confucéenne, produit de l’ancien mode de production asiatique. Et tout ceci n’a pas empêché le P.C.C de sortir vainqueur de la confrontation.

 

C’est donc en opposition à une certaine lecture évolutionniste hégélienne de l’Histoire, qui voit la dialectique interne du concept accoucher d’une solution univoque, qu’ Althusser préfère l’analyse de la société comme un « « Tout » structuré » : - « comportant des niveaux ou instances distincts et  relativement autonomes qui coexistent dans cette unité structurale complexe, en s’articulant les uns aux autres selon des modes de déterminations spécifiques, fixés en dernière instance par le niveau ou instance de l’économie. ». Face à Proudhon qui veut maintenir la logique hégélienne d’une instance engendrée par une autre instance, pour Althusser, Marx oppose la thèse, qu’on ne peut expliquer le corps de la société, à un instant donné, sa synchronie, où des rapports économiques coexistent simultanément mais avec des logiques propres, par une unique diachronie, une évolution temporelle engendrant successivement ses rapports. Le temps économique n’est pas un temps univoque, ce n’est pas le temps des horloges, c’est un temps multiple construit à partir des rythmes différenciés d’objets qui en constituent la nature. Toute la difficulté est donc de comprendre comment s’organise, à un instant donné, la reproduction d’ensemble d’objets aux temporalités différentes, comment se réalise la synchronie d’objets aux rythmes diachroniques.

 

Dans le tome 2 de Lire le Capital, Althusser réfléchit à l’Objet de cette œuvre, car s’il y a une histoire réelle de la construction du capitalisme, dans le Capital de Marx, il y a parallèlement une histoire philosophique de l’évolution des concepts économiques qui en favorisent la compréhension. L’économie ne devient science que par la mise en œuvre d’une épistémologie qui reprenant des concepts donnés comme des évidences (Profit, rente, intérêt, etc.) par le biais d’un concept nouveau : la plus-value, subissent un bouleversement complet, du même type que celui que la chimie a subi quand Lavoisier a repris celui d’oxygène pour l’opposer à celui de phlogistique. Si Marx n’a pas plus découvert la plus-value, que Lavoisier a découvert l’oxygène ; ces concepts ont été découverts par d’autres scientifiques ; ces derniers n’ont pas pu, su, voulu réagencer l’ancien ordre d’exposition des matières étudiées, alors que c’est le cas avec Lavoisier et sa mise en œuvre de la nomenclature de la chimie, et pour Marx avec la périodisation des modes de production.

 

Quel est l’objet de l’Economie politique, c’est la question qu’Althusser pose dans le Tome 2 de Lire le Capital. Marx présente son ouvrage comme « Une critique de l’Economie Politique », pour Althusser, cela signifie que Marx entend critiquer l’objet même de l’Economie Politique, telle qu’elle s’est construite, et plus seulement critiquer le fait même qu’il puisse exister une Economie Politique. La critique de l’Economie Politique de Marx devient la critique de toute Economie Politique. Reprenant, le dictionnaire Lalande, Althusser rappelle que l’Economie Politique y est définie comme la détermination des lois qui concernent la distribution des richesses, mais aussi leur production et consommation, en tant que ces phénomènes sont liés à la distribution. Car la production et la consommation concernent des phénomènes bien plus grands et hétérogènes, que les simples lois de la distribution. La production et la consommation pèsent donc comme « causes » et « effets » sur la distribution.

Cette définition permet de poser l’Economie Politique comme un espace homogène, où les phénomènes le remplissent de données, qui n’ont plus à être préalablement défini. Car ces données phénoménologiques sont mesurables et quantifiables, comme le rappelle Marx, c’est la fameuse forme « valeur », comme quantité, celle qui cristallise l’attention des économistes. Ces derniers reprochent pour leur part à Marx de ne pas donner de forme mesurable à son concept de Plus - Value, mais celui-ci rappelle que ce sont les formes de son concept que les économistes mesurent, à travers le profit, la rente, l’intérêt. En fait, l’homogénéité de la distribution tient de ce que le champ extérieur de la production et de la consommation lui fixent une anthropologie « naïve » de satisfaction des besoins, besoins de la production et besoins de la consommation. Il y a une hominisation, autrement dit la production idéologique d’un « homo-économicus », guidé par des besoins. Ceci permet de produire des « sujets » du besoin, conduits à une logique d’échange pour les satisfaire.

 

Il y a champ homogène et rationnel parce qu’il y a une anthropologie sous-jacente qui en fixe de façon masquée les conditions. D’un point de vue philosophique, nous dit Althusser, pour un philosophe, il y a une production de concepts par l’Economie Politique du type : « données » ; « sujets » ; « origines » ; « fins » ; « ordre » ; et une production de relations comme celles de : causalité linéaire, téléologie, etc. qui assure une mise en scène de l’objet économique qui apparaît dès lors comme bien plus le résultat d’un produit de nature idéologique que véritablement scientifique. Le renouvellement du « même » à travers la catégorie de « besoin » permet d’éterniser le renouvellement d’une scène où jouent les consommateurs et d’assurer une pérennisation du mode de production à travers l’histoire. Pour les économistes l’économie bourgeoise a toujours été là, et elle sera toujours là. Pour rompre avec l’anthropologie économique, il faut remette en cause la notion de besoin et son rattachement à une anthropologie humaine. C’est en s’intéressant au concept de Consommation qu’on peut remettre en cause ce lien tautologique. En effet le besoin humain lié mécaniquement à la consommation économique donne l’illusion d’un lien direct. Cependant si on reprend l’ensemble du circuit économique on se rend compte qu’il n’existe pas seulement une consommation humaine, il existe aussi une consommation productive. L’industrie a « besoin » de consommer des matières premières, des machines et de la force de travail. Ceci permet non pas de satisfaire les besoins des individus, mais de favoriser la reproduction soit simple soit élargie des conditions de la production. De là Marx produit deux concepts ceux de Capital Constant (ensemble des moyens et objets de production exprimés en valeur) et de Capital variable (ensemble de la force de travail exprimée en valeur) de même que la distinction entre deux secteurs de la production : le secteur I, destiné à produire les moyens de production et le secteur II destiné à la production des objets de consommation individuelle.

 

S’il y a production de biens, il n’y a plus seulement production de biens destinés à la consommation individuelle, mais aussi production de biens destinés à la reproduction des conditions de production. L’anthropomorphisme qui consiste à subjectiviser les moyens de production dans la théorie libérale bourgeoise à pour fonction d’en éterniser la nécessité, à nier leur caractère historique pour en faire un absolu. On veut « absolutiser » les besoins humains, bien que ceux-ci n’existent que dans la forme historique de leurs expressions, mais un tel phénomène n’existe pas pour les moyens de production, ils dépendent, eux, des capacités financières (profits et intérêts) pour les réaliser, comme pour les rentabiliser.

 

Par la nécessité de l’équilibre du circuit entre les secteurs I et II, la commande de biens de production pour le secteur II entrainant la nécessité de sa réalisation par le secteur I, ce n’est pas les besoins « en général » qui déterminent l’équilibre et la réalisation économique.

C’est le marché économique qui détermine les besoins économiques, qui sont les seuls besoins réalisables car solvables.

 

 

L’apport et les limites d’Althusser.

 

Althusser, en posant l’existence d’une topique économique et sociale constituée de structures autonomes ayant leurs logiques propres, évite de penser une « systémique » mécanique, bien qu’il semble ignorer, au début de son œuvre, l’utilisation claire de ce concept essentiel de la régulation, qui permet d’affirmer l’existence d’un « Système Capitaliste ». Il en tiendra pourtant compte, un peu plus tard, avec la publication d’un de ses articles les plus célèbres « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat ». l’Appareil, est une structure (institutionnelle) qui développe une logique systémique, mais une logique non-mécanique (Ce que mettra bien en avant l’analyse de Nicos Poulantzas portant sur la (les) superstructure(s) et constitué(es) de divers appareils). Il donne donc l’impression de ne valoriser que les concepts issus du structuralisme, auxquels il y adjoint ceux du fonctionnalisme, là encore sans faire une référence explicite aux présupposés de cette théorie. Dans la définition classique de ce dernier courant, c’est la fonction qui crée l’organe (le besoin de respirer crée le poumon), l’Origine est le produit d’une Fin. En refusant l’ontologie anthropologique du besoin, Althusser introduit une inversion de causalité, c’est la théorie de l’assujettissement (la respiration est assujettie au poumon. Le poumon crée la respiration). Dès lors pour Althusser et son courant, la théorie de la libération du sujet ne concerne pas prioritairement le sujet lui-même, mais concerne la nature, les fonctions, agencements, des structures (institutions, organisations [entreprises, associations, familles, etc.], en un lien « systémique » et le (les) types d’assujettissement qu’elles produisent sur les individus. Pour Althusser comme il le rappelle l’Histoire est un procès sans sujet (individu) ni Fin. Elle est sans Fin car elle n’a pas d’Origine (créationnisme).

 

 Dans l’analyse althussérienne, l’individu devient un « agent », un support de rapport, dans une histoire « humaine » où il s’inscrit plus qu’il ne la crée. En effet, à moins de recréer comme dans la théorie libérale bourgeoise une fiction de la scène originelle, sous forme d’une robinsonnade, où c’est un, voire, deux individus, qui créent la société en produisant du lien social, une « relation » sociale, produit d’une logique communicationnelle, nul n’a jamais pu s’extraire de l’histoire et des temporalités des structures qui nous voient naître et que nous devons parvenir à modifier. Il n’existe pas d’individu sans contrainte (finalité idéaliste de l’humanisme), et donc il ne peut exister d’individu « désaliéner » parce que vivant au dessus ou en dehors de toute structure sociale ou sociétale, mais aussi de toute idéologie.

Cette représentation s’oppose à celle de « l’Humanisme Théorique » défendu par le courant droitier du Comité Central d’Argenteuil de 1966, Garaudy-Aragon, et que la direction actuelle de notre parti cherche en vain à ressusciter à travers son mot d’ordre : « L’Humain d’abord ». Mais elle s’oppose aussi au courant plus centriste (Marchaisien) des partisans de « La Personnalité » notamment son théoricien le plus conséquent Lucien Sève. Le premier courant ne distingue pas le biologique du social et considère le concept d’individu comme central, à travers le concept d’ « Homme », c’est la fameuse « défense » des individus face aux institutions, la défense des droits de l’homme, brique de base de la moderne théorie du totalitarisme. Le second courant distingue le biologique du social, au profit de ce dernier, mais n’introduit aucune hiérarchie ni coupure, entre la relation sociale et le rapport social. C’est pourquoi il répète à l’envie la fameuse thèse issue des œuvres de la Coupure de Karl Marx « L’Idéologie Allemande ». Le centrisme se référant aux œuvres de la période intermédiaire, la fameuse « coupure », pour à la fois répondre au courant droitier, mais aussi et surtout pour combattre la gauche du parti. Qu’est-ce qu’affirme Marx avec sa fameuse 6ème thèse sur Feuerbach « L’essence humaine, n’est pas une abstraction inhérente à l’individu, pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux. ».  

 

En ne distinguant aucune forme déterminante de rapport social, ni hiérarchie, ni contradiction, entre ces formes, en l’accolant directement au concept d’individu, cette thèse semble faire de la relation sociale, le pivot de la résolution de la contradiction de l’hominisation, entre son statut d’individu que lui assigne le biologique et celui d’agent produit des structures sociales. C’est le fameux processus d’individuation, qui s’intéresse unilatéralement à la façon dont l’individu incorpore les normes sociales dans son comportement.

 

Comment se forme la « personnalité » telle est l’objet principal d’interrogation de cette problématique. Elle est l’objet du livre de Lucien Sève « Marxisme et théorie de la personnalité », qui a donné au parti pendant des années, le soubassement théorique du « néo-centrisme », retour « centriste », répondant à la première critique, de droite, de la déviation stalinienne. Pour ce courant, nous devons sortir de l’aliénation des rapports sociaux qui entrave la libération non pas de l’homme considéré comme un individu, pure biologisation, mais de sa « personne », c’est-à-dire de l’homme, qui ne se réduit pas au statut d’individu, un homme ayant personnalisé des valeurs sociales, au moyen de sa capacité relationnelle et aussi cognitive. La logique « centriste » française est porteuse de la tradition du P.C.F d’avoir eu toujours en son sein une forte tradition psychologisante. Que ce soit à travers ses scientifiques, en particulier Henri Wallon, ou que ce soit à travers ses philosophes, dont au moins deux ont fait de la psychologie, leur champ d’étude, Georges Politzer et Lucien Sève, sans compter ceux qui dans une référence explicite au jeune-marxisme considèrent la transformation sociale comme le produit d’un psychologisme révolutionnaire rénové, tel Henri Lefèvre.

 

L’opposition d’Althusser porte donc, vis-à-vis de ce courant, sur le contenu du concept de « rapport ». Qu’est-ce qu’un « rapport » est-il l’autre nom du concept de « relation » tel que semble le sous-entendre la tradition anglo-saxonne, tradition qui a tout envahi et auquel le courant majoritaire du PCF se rattache de façon plus ou moins directe, même s’il s’en défend.

Ainsi tout le champ de la gestion sociale des entreprises porte t’il sur les relations sociales dans les entreprises, autrement dit sur l’existence d’une pratique « communicationnelle » entre les individus aux seins des « institutions ». Bien évidemment l’idéologie bourgeoise cherche à masquer l’effet structurel, l’effet de domination d’une telle réalité. C’est pourquoi en matière de « gestion » des entreprises, elle cherche à produire une théorie idéaliste décontextualisée du but du capitalisme. Elle crée une psychosociologie dont l’objectif est de s’intéresser aux comportements des individus dans les « organisations ». Elle réalise ainsi le tour de passe-passe de poser le mode de fonctionnement d’une entreprise au niveau d’une association de pécheurs à la ligne. Quel est le comportement d’un individu dans une organisation, quelle logique relationnelle y développe t’il, quel comportement bureaucratique non-conscient génère t’il. La bourgeoisie va donc affirmer mettre en œuvre une théorie de « la gestion des ressources humaines » au moyen d’une direction des relations du personnel. Pour cela la D.R.H se doit de mettre en œuvre une bonne politique communicationnelle pour améliorer les relations dans l’entreprise. Cette fiction pose donc le fonctionnement de la structure « entreprise » capitaliste au même niveau que celle d’une organisation caritative, ce qui change simplement c’est sa finalité ( à rebours on a là l’explication du développement dans le milieux associatifs, d’une logique du « charité-business », c’est par la pénétration de l’idéologie managériale portée par les nouvelles directions de ces associations, que le retournement-détournement des projets et de fins se mettent en œuvres, il faut gérer l’associatif comme une entreprise.). Si la communication ne fonctionne pas, c’est que les membres de l’entreprise n’en ont pas conscience, le rapport se réduit à une relation mal appliquée qu’il s’agit de rectifiée par une amélioration de la communication. L’inconscient de la structure se réduit à du non-conscient des fonctions mises en œuvres. Le salarié doit comprendre que l’entreprise satisfait un besoin, c’est comme cela qu’un « tous- ensemble » pourra naître et l’esprit d’équipe en sortira renforcé. Au contraire le point de vue althussérien met en avant que le rapport n’est pas la relation. Cette dernière a pour fonction de le masquer, de le détourner, la relation « consciente » est l’ontologie affichée du système dominant. L’inconscient, comme retournement fonctionnel d’une structure, n’est donc pas essentiellement dans le mode de fonctionnement (satisfaire un besoin) et le relationnel (communicationnel) de la structure, il est dans la justification idéologique de l’existence de celle-ci. L’entreprise sert à satisfaire un besoin, nous dit l’idéologie bourgeoise. « Non, répond Marx, analysé par Althusser, l’entreprise « sert » d’abord à réaliser des profits, et le salarié ne compte que s’il satisfait à ce « besoin » ». L’inconscient de l’entreprise ne tient donc nullement d’une mauvaise utilisation du personnel, qu’une saine gestion des relations pourrait rétablir, mais d’une erreur de jugement sur les finalités de l’entreprise. Elle s’affiche, apparait comme, etc. une « organisation » ayant pour fonction de satisfaire les besoins du consommateur, dans la logique relationnelle bourgeoise. Alors qu’elle est d’abord un lieu de production de profit, au moyen de rapports d’exploitation engendrant de la plus-value pour le courant marxiste.

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