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(D.C.O)

LES LUTTES DE CLASSES EN URSS

(de Charles Bettelheim)

 

 

Introduction

Comment s'est construit le capitalisme d'Etat en URSS, c'est ce que veut analyser Charles Bettelheim dans les deux premiers tomes de son ouvrage. L'auteur a pour objectif de procéder à l'analyse de classe de la nature de l'URSS, au moyen d'une rectification de la déviation économiste dont souffraient ses précédents textes. Dans ses œuvres économiques, Bettelheim, considère qu'il s'est laissé emporter par une vision qui survalorise la détermination historique des forces productives dans l'évolution de toute société. L'évolution des forces productives ne peut à elle seule faire évoluer les rapports de production, en particulier les rapports de propriété, il faut aussi tenir compte de la division capitaliste du travail et de l'ensemble des rapports idéologiques bourgeois encore présents.

 

1ère rectification :Les rapports de classes ne sont pas essentiellement liés aux formes juridiques de propriété, ils sont liés aux formes du procès social d'appropriation et la place que ces formes assignent aux agents de production. L'étatisation ne supprime pas l'existence d'une bourgeoisie d'Etat.

 

2ème rectification :La thèse de la toute puissance des forces productives surdéterminant les rapports de production, thèse partagée aussi bien par Staline que par Trotski, n'a pas permis aux forces politiques de contrecarrer les effets politiques et sociaux d'un tel point de vue. Le premier a jugé que leur développement suffisant assurerait à l'URSS son caractère définitivement socialiste et le second, au contraire, a estimé que leur retard, qui pour lui ne pourrait jamais être historiquement comblé, obligeait l'URSS à une révolution internationale.

 

La problématique de la prééminence des forces productives a nourri "l'économisme" déviation qui fait de l'économie l'unique vecteur de la lutte des classes et qui lie directement la crise politique du système à sa crise économique réduisant le poids du politique, de l'idéologie et l'action des partis en présence, dans les bouleversements sociaux. La principale déviation contenue dans l'économisme est d'attribuer le rôle principal non pas à l'initiative des travailleurs, mais à l'accumulation de nouveaux moyens de production et aux connaissances techniques.

Le primat accordé aux forces productives a dépossédé le prolétariat soviétique de toute capacité à intervenir sur les rapports de production. Pour Staline, il fallait construire le socialisme le plus vite possible et donc se fixer comme tâches l'accumulation de moyens matériels suffisants pour que puissent émerger de nouveaux rapports de production. La place dans les rapports de production autre que les rapports de propriété devenant le fruit non d'un enjeu politique, mais le résultat mécanique d'un bouleversement technologique. Le procès d'appropriation ne résulte pas d'une prise de conscience sociale, d'un choix politique de division du travail, remettant en cause la division sociale intellectuelle et manuelle de celui -ci, mais plus fondamentalement, le fruit mécanique d'une révolution scientifique et technique, qui fait dépendre des sciences et de ceux qui les conçoivent (les scientifiques, les ingénieurs et techniciens), la résolution des contradictions politiques et sociales en faisant émerger de nouvelles figures du salariat, en remodelant le paysage professionnel. Ce modèle porté dans sa logique ultime par le Khrouchtchevisme et des théoriciens du type Oscar Lang, a ainsi pu imaginer un univers de science fiction où la cybernétique pourrait en boucles rétroactives, produire des usines sans travailleurs, ( modèle actualisé par le courant centriste français de Boccara dans le concept de révolution "informationnelle") et permettre par la révolution de forces productives d'aboutir au projet contenu dans le communisme de mettre en place une société où dominerait le travail complexe vis à vis du travail simple  d'y faire ainsi disparaître le travail concret au moyen du travail abstrait. Autrement dit d'assurer la victoire d'un monde d'ingénieur, figure idéalisée de l'imaginaire socialisant de l'aristocratie ouvrière.

 

Les deux conceptions du capitalisme d'Etat chez Lénine

 

Lénine dans ses écrits et dans ses références développe deux définitions de ce qu'il entend par Capitalisme d'Etat. La première concerne l'intervention du pouvoir étatique dans son environnement économique et social. Il s'agit d'organiser le marché et de réguler le commerce extérieur en fixant des réglementations ou en construisant des sociétés d'économie mixtes, ou d'Etat, ou en encadrant  celles totalement privées etc. Cette première assertion définit le capitalisme d'Etat comme l'organisation régulée et contrôlée du marché capitaliste par la puissance publique. L'Etat révolutionnaire organise un environnement économique qui n'a pas encore été entièrement concerné par l'expropriation des propriétaires et qui décide de mettre en place une économie mixte. Cette définition  qui concerne en particulier la NEP est celle que décide de retenir Trotski quand il parle du rapport de Lénine au capitalisme d'Etat.

 

Lénine définit, d'autre part, une seconde façon d'envisager le capitalisme d'Etat, il ne s'agit plus des rapports de propriétés et des formes juridiques qui peuvent exister dans le cadre d'une économie mixte, mais de la division du travail qui existe dans les entreprises et des formes de commandement qu'elle suscite sur la ligne hiérarchique. Il s'agit ici de venir sur le terrain de la Gauche Communiste pour contrer sa critique  du retour des anciennes façons de gérer les entreprises. Dans le premier cas on voit bien où passe la coupure, entre lois du marché sans contraintes et économie mixte régulée à visée sociale, dans le second cas, l'ambiguïté est totale, car la remise en selle des lignes hiérarchiques de commandement et d'approfondissement de la division du travail, non seulement vise les directions privées à qui elles laissent le soin de recomposer le procès de travail, mais aussi les directions collectives à dominantes syndicales qui se sont substituées aux anciens propriétaires lors de la révolution.

 

Le gouvernement soviétique donne le pouvoir à une direction administrative issue de l'appareil d'Etat et en lien avec elle, qui chapeaute directement le procès de production. 

 

Dans cette conception revendiquée par Lénine, il faut rendre la direction au propriétaire privé ou d'Etat et ne plus contester son commandement unique, il faut développer le taylorisme et le fordisme, la productivité et la rentabilité du travail, ceci dans le secteur privé, comme dans le secteur public, ce qui fait que quand Lénine parle d'un secteur de capitalisme d'Etat qui s'opposerait au secteur socialiste, on cherche en vain ce fameux secteur "socialiste" qui proposerait une mode de division du travail et d'organisation hiérarchique en opposition avec le modèle du capitalisme d'Etat. Lénine ne nous en fait aucune description et ne nomme aucune entreprise comme représentant un tel modèle. Où sont les entreprises "socialistes", entreprises qui romperaient avec le modèle de l'entreprise étatisée. Même les entreprises coopératives, qui après tout pourraient être concernées par ce que Lénine appelle entreprises "socialistes", n'affirment pas développer un modèle d'organisation de division du travail différente, seulement un  autre mode de gouvernance. 

 

De l'antitotalitarisme

 

Dans les tomes 3 et 4 de "Les Luttes de Classes en URSS", qui date de 1983, Bettelheim qui a cessé de croire dans le modèle chinois de rectification de la déviation stalinienne, bascule dans l'antitotalitarisme qui au milieu des années 80 s'impose comme ligne politique des anciens gauchistes. Il adopte la ligne des "nouveaux" philosophes (Levy, Glucksmann, etc.) des antitotalitaires (Kouchner, Finkielkraut etc.), des libertaires droitiers (Cohn-Bendit,…), tout ce beau monde puise dans l'univers des historiens partisans de la "nouvelle" histoire ( le couple Furet- Kriegel, ex-staliniens zélés), la justification historique de leurs retournements de veste et se place sous la férule bienveillante d'une autre grande figure de cet univers idéologique : Hannah Arendt, conceptrice de la théorie du totalitarisme.

 

Ce " Bund " reconstitué (rassemblement et incarnation du communautarisme, libertaire-libertarien, de la judaïté), voit dans le phénomène stalinien l'un des nombreux exemples d'incarnation du rapport dominants-dominés de toute société, expression moderne de la servitude volontaire dans laquelle se complaisent les milieux populaires, et qu'Orwell avait dénoncé dans "1984". Avec la disparition des marchés survient la disparition des sujets, la liberté est donc menacée au profit du totalitarisme de la masse et d'une domination des foules.

 

En ce sens, notre petite clique tombe entièrement sous la dénonciation de Marx dans" La Question Juive" :

 

"Dès que la société réussit à supprimer l'essence empirique du judaïsme, le trafic et ses conditions, le juif est devenu impossible, parce que sa conscience n'a plus d'objet, parce que la base subjective du judaïsme, le besoin pratique, est humanisée, parce que le conflit entre l'existence individuelle, sensible, et l'existence générique de l'homme est supprimé.L'émancipation sociale du juif, c'est l'émancipation de la société à l'égard du judaïsme."

 

Renouer avec le marché constitue pour beaucoup de ces jeunes gens, le moyen le plus court de renouer avec une supposée judaïté.

 

"Considérons le juif réel, laïque, non le juif du sabbat, comme Bauer le fait, mais le juif de tous les jours. Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel. Quel est le fondement profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l'intérêt personnel.

Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic,

Quel est son Dieu profane ? L'Argent

Eh bien ! L'émancipation du trafic et de l'argent, donc du judaïsme pratique, réel serait l'auto-émancipation de notre temps.

Une organisation de la société qui supprimerait les conditions préalables du trafic, et donc la possibilité du trafic, aurait rendu le juif impossible. La conscience religieuse du Juif se dissiperait, comme fade buée, dans l'air vital véritable de la société. D'autre part, si le juif reconnait la vanité de cette essence pratique qui lui appartient, et s'il travaille à sa suppression, il part de l'évolution qui a été la sienne jusqu'ici pour travailler à l'émancipation humaine générale et il s'attaque à l'expression pratique la plus haute de l'aliénation humaine." p. 131

 

Le juif de Marx est le juif de la lecture chrétienne, celui-de l'homme aux écus. Celui du retour, au sein de l'orthodoxie protestante, de la filiation entre judaïté et chrétienté, celui qui rend possible au chrétien le capital de prêt à condition qu'il n'en soit pas affecté personnellement, d'où le dépouillement apparent du religieux protestant. Bourgeois oui, mais sans le laisser paraître, capitaliste certainement ,mais sans excès ostentatoire.

 

Autrement dit :

 

Un juif des origines, le juif idéaliste et dépouillé tel que la bible nous le présente, celui qui s'oppose aux marchands du temple mais que rien ne gène à l'extérieur (pas vu, pas pris).

 

" Ce n'est pas là un fait isolé. Le juif s'est émancipé à la manière juive, non seulement en s'appropriant le pouvoir de l'argent, mais du fait que, par lui et sans lui, l'argent est devenue une puissance mondiale et l'esprit juif l'esprit pratique des peuples chrétiens. Les juifs se sont émancipés dans la mesure où les chrétiens sont devenus juifs."  La Question Juive p133.

 

En réglant son sort à ce "juif" protestant, Marx ne règle pas seulement son compte au capitalisme et à ses mythes ( "l'éthique du protestantisme" de Max Weber)). Il règle aussi ses comptes familiaux vis à vis d'un père, ex-juif, devenu protestant pour pouvoir continuer ses affaires.

 

Nos ex-gauchistes, retournent leurs vestes en devenant des chantres des Etats-Unis d'Europe et du marché, au nom de la liberté du sujet. Autrement dit des larbins-diplômés des sectes fondamentalistes protestantes et de leur définition idéaliste du juif rédempteur parce que crucifié.

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