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A propos du rassemblement de textes « Les vaches noires, interview imaginaire »

écrits par Louis Althusser - Presses Universitaires de France

 

Cette édition française est un moment important de l’histoire de la problématique althussérienne à quoi je reste politiquement attaché dans sa spécificité militante. Je considère à la suite du philosophe que la question théorique est l’élément central du juste rapport à la pratique et que ce n’est que par une rectification de la déviation de droite, dont le stalinisme est une incarnation particulière, que nous pourrons sortir de la crise du marxisme et du léninisme.

 

Cependant, aujourd’ hui, nous ne sommes plus dans la conjoncture des années 70, le PCF a cessé d’être le parti de masse dont on pouvait espérer un auto-redressement par activation d’une pensée révolutionnaire interne produit d’un simple courant de gauche à l’intérieur, ceci sans s’engager dans la construction de plates-formes alternatives. Aujourd’ hui des tendances existent au sein du PCF et la direction n’a plus les moyens de s’y opposer sinon à exhumer une pratique stalinienne, quelle met en œuvre à chaque congrès pour s’opposer à sa gauche, mais sans que la dite gauche ne disparaisse pour autant et qu’elle cesse d’être active dans les débats internes.

 

La problématique althussérienne dans sa spécificité de critique interne de gauche de la déviation stalinienne réévalue le poids des rapports de production vis-à-vis des forces productives dans le processus révolutionnaire, rapports de production, qu’elle ne réduit pas aux rapports de propriété. La division du travail représente cette interface entre ces deux instances, elle est le nœud de la contradiction.

 

L’ensemble de textes réunis dans « Les vaches noires », constitue une problématique cohérente de la conjoncture de l'après 68, en particulier de ce moment spécifique du milieu des années 70 avec le 22ème Congrès, où l’apport essentiel de ce congrès consiste à abandonner un concept qui fait corps avec la théorie marxiste, au point même que l’on peut considérer qu’il est le concept central de la théorie marxiste : « La dictature du prolétariat ». Tout ceci pour ne pas avoir à fournir une analyse marxiste, c’est-à-dire une analyse des contradictions de classes de la réalité de ce que l’on a appelé « dictature du prolétariat » dans le bloc de l’Est et en particulier en URSS.

 

Aujourd’ hui, on sait que cette « explication » du pourquoi de l'abandon du concept de dictature du prolétariat en a recouvert une autre, beaucoup plus pertinente et déterminante pour analyser notre conjoncture.

 

En substituant des catégories libérales bourgeoises : droits de l’homme, « liberté », humanisme théorique : « L’Humain d’abord » etc. au concept de dictature du prolétariat, cette substitution visait d’abord à abandonner l’autre concept central du marxisme, l’analyse des sociétés occidentales comme « dictature de la bourgeoisie », c’est cette réalité qu’Althusser pressent, mais qu’il  développe peu, sinon à travers la contradiction vécue par le parti communiste à articuler idéologie des droits de l'homme et réalité du code pénal de l'individu bourgeois.

 

 

En réalité pendant que tout le congrès (22ème-1976) s’agitait sur les instruments d’analyse de la nature des formations socialistes, par derrière, on substituait à la nécessaire analyse de classe des formations capitalistes, une bouillie idéologique « progressiste » issue de l’humanisme mou dont la conclusion ultime est : qu’il n’est plus question au nom des droits de l’homme, du respect de la légalité etc. etc. de développer un projet révolutionnaire en Occident. La seule solution c’est la voie électorale et sa partie de ping - pong : gauche - droite, gauche - droite, etc. car s’il y a une domination bourgeoise, il n’y a plus pour les tenants du post-stalinisme, de dictature de classe.

[ l'analyse systémique qui articule et analyse, les structures de l'appareil aux fonctions des agents, supports de rapports, est abandonnée au simple fonctionnalisme. Les Institutions [ Les Appareils] n'étant plus mues que par des fonctions (règles, dispositions) mis en oeuvre par les agents, elles ne sont plus que des topiques sans effets (car si rien au dessus, rien en dessous non plus), elles n'ont plus besoin d'être bouleversées, ce que l'on doit revisiter ce sont les fonctions des agents, car dans cette lecture ils ne sont plus assujettis dans leurs comportements,soumis au poids de l'appareil, mais au contraire de simples sujets contraints dans leurs activités par l'étroitesse de leur zone de liberté. La topique n' est plus que linéaire, le paradigme se réduit à la syntagme, le sujet n'a pas "conscience" de tout ce qu'il peut faire, pour cela éclairons-lui le chemin (philosophie des Lumières), réveillons - le, son aliénation tient dans les contraintes qu'il s'est lui-même fixées, ou bien que le "jeu" des relations sociales, lui imposent. Le capitalisme moderne veut et "permet" des hommes libres dans un monde (i.e: des structures) "libre(s)". La liberté c'est la propriété. De soi (sinon je ne peux pas "jouer" ayant rien à perdre) et donc forcément de l'autre. Si c'est l'autre qui m'offre, met à ma disposition, le terrain du jeu, je joue pour l'autre, si je ne suis pas "comptant" je n'ai qu'à créer mon terrain (mon entreprise). On est en plein dans l'expression moderne de l'idéologie capitaliste , la nouvelle servitude "volontaire" tient dans l'atomisation totale des agents économiques devenus de purs sujets de droit.

 

La plaquette "Vivre libres" était-elle vraiment ce que les masses exploitées attendaient comme réponse à l'abandon de la dictature du prolétariat ? Abandonner la domination de classe au profit d'une illusoire liberté du sujet, était-ce par quoi on était sûr de parvenir au socialisme? L'effet réel est que pour nier la domination d'une classe et pour construire l'illusion d'une collection de sujets, on a du en retour aboutir à nier la domination de la classe dominante au profit d'une simple soumission à une inculcation, qu'une prise de conscience suffirait à rompre. Depuis nous vivons dans le "socialisme" de la communication et notre activité de nouveaux Témoins de Saint-Marx consiste à diffuser un nouveau "Réveillez-vous", dont l'exergue est : "si vous saviez-vous feriez !" Malheureusement les masses savent, elles bougent, mais comme on (i.e : Le P.C.F) à transformer la dictature de la bourgeoisie en un simple plafond de verre, elles voient (ou croient voir) à travers, et telles des papillons de nuits viennent se heurter à une résistance dont elles n'ont plus ni les tenants ni les aboutissants et rien à lui opposer que leur "liberté" d'acteurs sociaux (Si on a la "liberté" de faire grève, on a surtout la liberté de la perdre!) ]

 Enfin dans cet ouvrage essentiel, Althusser rappelle ce qu’il faut penser du concept de révolution scientifique et technique et le rôle qu’il joue dans le dispositif idéologique du PCF. En quoi ce concept par la neutralisation des effets de classes d’une telle représentation du monde sert à survaloriser le rôle des intellectuels, des scientifiques et des chercheurs dans la résolution des contradictions sociales et en quoi une telle vision nourrit la déviation d’un socialisme des ingénieurs. Socialisme des ingénieurs qui est déjà présent dans l’appréciation positive que Lénine porte sur la technique capitaliste issue du taylorisme et du fordisme, que Staline reprend en intégral dans « Les Questions du Léninisme » et dont il tire une lecture logique où il affirme que dans le champs du socialisme les contradictions de classes ont disparu. Ne subsiste dans la problématique stalinienne qu’une société réconciliée avec elle -même, où l’Etat est maintenu comme pure contingence technique exprimant les intérêts de toute la société : « L’Etat du peuple tout entier ». Etat dans lequel n’existe suivant le sociologisme stalinien que 3 catégories sociales, mais non des classes : Les ouvriers,-  les paysans et - les "intellectuels".

 "Intellectuels" : catégorie sociologique et donc catégorie bourgeoise que Staline tente d'imposer pour masquer la nature de classe du bloc idéologique formé des dirigeants des entreprises et des hauts fonctionnaires, qui sont les véritables bénéficiaires du capitalisme d'Etat que Staline appelle "Mode de production socialiste " pour mieux l'éterniser et rendre l'extinction de l'Etat impossible.

 

A propos de la lutte des classes en U.R.S.S :

« Il faut donc en conclure ( déclare Althusser), qu’il existe bel et bien une lutte de classe (dont les formes sont inattendues) et des classes sociales, donc un antagonisme. Cet antagonisme oppose en gros la classe ouvrière et paysanne à la couche sociale « d’intellectuels » qui dirige le pays ».                                                                                                                                  

                               p 386 chapitre 12 sur « l’Union Soviétique »    LES VACHES NOIRES  LOUIS ALTHUSSER

Intervenir dans la conjoncture

2 textes toujours actuels de Louis Althusser :

- « 22ème congrès » 1977

- « Ce qui ne peut plus durer dans le parti Communiste » 1978

 

 

Les textes d’interventions politiques pratiques de Louis Althusser s’ils ne furent jamais insignifiants sont restés suffisamment marginaux, dans son œuvre, pour que notre site y consacre un article pour les faire sortir de l’oubli. Dans le cadre de ce 37ème congrès du PCF, il n’est pas insignifiant de faire retour sur la conjoncture particulière qui court tout au long des années 70 et qui voient le bloc théorique néo- centriste qui constitue l’armature idéologique du PCF commencer à s’effondrer sur lui-même pour se droitiser.

 

La matrice idéologique du néo-centrisme marchaisien fait suite au coup de barre à droite qu’avait impulsé Waldeck Rochet avec sa volonté clairement exprimée de procéder à une déstalinisation du PCF, en marquant clairement ses distances avec l’URSS. La droitisation du mouvement communiste s’est opérée au moyen d’un retour à la liberté de critique, une plus grande place accordée à la culture et aux intellectuels. A ce titre Althusser a été séduit lui-même par cette période et par le rôle démocratique qu’a joué Waldeck Rochet pour favoriser la libre recherche et la libre expression des intellectuels organiques. Althusser lui a dédié ses « Eléments d’Autocritiques » ouvrage consacré à son « théoricisme » et rendre compte de son autodidactisme pour la culture et leur intérêt commun pour le philosophe Spinoza.

 

Mais Althusser se rend parfaitement compte des effets de la droitisation du Mouvement Communiste International, la scission qui s’en suit produit un schisme entre prosoviétiques et prochinois. Dans le courant qui reste fidèle à la patrie du socialisme, une autre rupture s’introduit entre éléments qui veulent rester en liens avec l’histoire de l’URSS et ceux qui commencent à aspirer à une social-démocratisation au nom d’un retour à la liberté et la toute puissance du sujet face aux sociétés jugées totalitaires. Althusser d’abord favorable à une lecture de gauche glisse de plus en plus au fur et à mesure de son engagement vers la seconde position. Par là, il ne fait que suivre les tendances de son époque, qui cèdent aux injonctions du courant libéral en Europe et au rejet de l’histoire de l’URSS.

 

 

« Ce qui ne peut plus durer dans le parti communiste » 1978

 

Indique l’inflexion d’Althusser vers ce que l’on a appelé « L’Eurocommunisme de gauche », certaines de ses thématiques pourraient inspirer aujourd’hui les G.L « Front de Gauche » 

 

 Ce texte constitué d’une série d’articles publiés dans le journal « Le Monde » reprend les tenants et les aboutissants de la campagne qui a vu la défaite de la gauche aux élections et le changement de ligne de la direction du parti qui n’a pas souhaité en parler aux militants.

 

Dans la première partie : « La stratégie le tournant dissimulé », il insiste sur le culte du secret et la non- information des militants du parti, sur l’art de proposer des rapports 24 h avant que la discussion prenne officiellement fin, l’art de diviser le parti entre militants « fidèles » et intellectuels installés « derrière leurs bureaux » etc. autant de thèmes et de pratiques qui n’ont pas vraiment été abandonnés depuis.

 

Althusser insiste surtout, sur une logorrhée qui n’a fait que s’amplifier depuis au sein du PCF, « le socialisme de la communication », il faut informer la population et les militants qui l’ignorent, qu’ils sont déjà potentiellement majoritaires. Il s’agit , nous dit Althusser, pour la direction du parti  :

-« D’imprégner les travailleurs… » par « une conscience » pour des « idées » car -« la conscience retarde… » etc. etc. C’est un rapport idéaliste à la politique conclue- t’il. Rapport qui s’est encore accentué aujourd’hui pour nous, où dans le parti de 2016, cette thématique de la conscience qui retarde a tout envahi. Le dernier ouvrage de Pierre Laurent en est une pure illustration « 99% » cela veut dire qu’il existerait une alliance objective entre ces 99% et qu’il ne s’agirait plus que de combattre 1% de la population mondiale. Ce positionnement, faute d’avancer dans la conscience réelle des masses feint dans contrôler les effets, c’est le socialisme du moindre « effort » mais  il se heurte sans rien comprendre au mur des réalités et à la stratégie du parti adverse qui loin de s’effriter ne cesse de se renouveler pour se forger une basse masse, avec l'aval de celle-ci qui manifestement préfère "consciemment" ce côté de la barricade, plutôt que la dimension incontestable, qu'il existe un rapport 99/1 dans la répartition des richesses.

 

La volonté des dirigeants communistes d’effacer la bourgeoisie en la vidant de sa substance pour n’en faire qu’une coquille vide d’effectifs et donc sans réalité matérielle, aboutit au résultat historique inverse. Ce n’est pas la bourgeoisie qui s’effrite et se détruit, c’est le parti communiste. Avec un résultat de 4% aux régionales, dont au moins 2% constitués d’un apport non-communiste, le PCF obtient aujourd’hui des résultats dignent d’un groupuscule d’extrême- gauche.Indiquant par là que les masses ne comprennent pas du tout la politique actuelle du PCF. Mais comme dit l'autre " si tu comprends pas, c'est qu'on t'a mal expliqué, je vais remettre ça !" C'est fou cette tendance de tous les pouvoirs et de toutes les institutions à vouloir faire du pédagogisme, "vous n'avez pas compris, je vais vous expliquer !" indique en règle général que c'est celui qui s'exprime qui est hors la plaque.  

 

Dans le second chapitre : « l’Organisation une machine à dominer », Louis Althusser établit un constat, dans une problématique qui par bien des côtés se rapproche de la problématique « Front de gauche », pour lui «  la politique d’Union de la Gauche n’est pas devenue une problématique d’Unité Populaire, elle est restée de bout en bout une politique d’unité entre formations politiques, gérée par les directions. »

 

Le 22ème congrès avait annoncé la libéralisation du parti aux principes du respect de la « démocratie et liberté », en fait la méfiance vis-à-vis du PS se traduit dans l’activité du PCF par « tout vient de la direction du parti, on ne laisse plus la base prendre des initiatives ».

 

Dans le chapitre « Un parti calqué sur l’appareil d’Etat et sur l’appareil militaire » il compare le parti à une machine ou il existerait une certaines liberté dans les cellules et les sections, mais où tout change quand on atteint les fédérations et le comité central. Les congrès génèrent des élections peu démocratiques à 3 tours. Les secrétaires de fédération sont comparés par lui à des préfets chargés de surveiller et de régler les questions délicates. Il y a donc un cloisonnement de type militaire, qui stérilise la démocratie interne. On retrouve là les reproches formulés par la plate-forme 2 (La Riposte) qui met en avant le même type de problématique aujourd’ hui, en ce sens les choses ne semblent pas avoir progressé 40 ans après !

 

Dans le chapitre intitulé : « L’idéologie du parti », Althusser revient sur le bricolage de valeurs et de croyances que le PC s’est forgé pour assurer sa cohérence interne. Il ne s’agit pas d’analyser la situation idéologique réelle de la formation sociale française et donc de se soumettre au risque scientifique de l’erreur, mais de produire un monde clos où les recherches ne sont là que pour illustrer des conclusions qui ont déjà été tirées.

 

C’est ce que met Althusser en avant avec la théorie du C.M.E d’origine soviétique auquel la direction du PCF a accolé les conclusions du groupe Boccara de la suraccumulation- dévalorisation, chargées d’en illustrer l’exemple pour la France, dans une déclinaison réformiste.

 

Il revient une nouvelle fois, sur les effets pratiques de ce nouveau réformisme. Le néo-centrisme marchaisien cherche lui aussi à produire une théorie de l’Etat (comme Staline) où la révolution devient un moment obsolète pour en bouleverser la structure. La théorie du mécanisme « unique » dit « Capitalisme Monopoliste d’Etat » tend à affirmer la nouveauté de la période, qui voit une poignée de monopoles contrôler l’Etat à leur profit et l’immense majorité de notre peuple avoir un intérêt "objectif" à s’y opposer.

 

La France « entière » est victime des monopoles, qui ne représentent qu’une poignée d’individus et si la France ne fait rien contre, c’est que la France ne « sait » pas, que sa « conscience » retarde, où version actuelle qu’elle est « aliénée ».

 

C’est le plein épanouissement du socialisme de la communication, de l’information et de la propagande. Prenez-conscience, car vous ne savez pas !

 

Althusser souligne que les rapports présentés devant le Comité central (aujourd’ hui devant le Conseil National) sont essentiellement des rapports apologétiques qui nient nos difficultés réelles et se refusent à développer une analyse qui pourrait mettre en difficultés nos propres croyances. Faire un rapport devient un pur exercice de style, c'est un auto-mouvement, une « réalisation », conforme à nos présupposés.

 

Notre ligne n’est pas contestable, le mouvement de la société ne peut pas lui donner tord, il faut donc que toute analyse ou rapport devant le C.N ne soit que la redite de conclusions que nous avons déjà tirées.

 

 

 Dans son dernier chapitre qui lui sert de conclusion : « Une solution sortir de la forteresse ».

 

Althusser développe les prémisses d’une analyse qui remet en cause le sens commun des analyses du parti.

 

A la fin du précédent chapitre il avait déjà critiqué le présupposé du parti qui fait de la classe ouvrière un groupe homogène sans conflictualités répondant à un intérêt commun, il insistait aussi sur les catégories sociales proches (petites-bourgeoises) qui elles aussi subissent l’aliénation de la salarisation et des conditions « d’exploitation » mais avec des caractéristiques spécifiques, qui peuvent les conduire à s’opposer à la classe ouvrière.

Cette réalité concrète n'est jamais analysée par le parti car il faudrait traiter ce qui divise objectivement le mouvement de masse et ne plus garder les yeux rivés sur une ultra-minorité que tout le monde connait parfaitement et où personne ne gagne rien à répéter en boucle qu'ils sont nos adversaires.

 

Dans ce dernier chapitre, il met en avant la spécificité de la pratique bourgeoise de la politique qui consiste à faire assurer sa domination par d’autres catégories sociales, spécificité mis en avant par Machiavel et que Gramsci n’aurait pas décelé. Selon lui, toutes les révolutions bourgeoises (1789,1830,1848) ont été réalisées par les catégories populaires au profit de la bourgeoisie. D’abord victorieux le mouvement populaire est en suite défait par une contre- révolution qui voit le groupe dominant récupérer les avancées à son propre profit.

 

Le mouvement ouvrier doit donc réaliser la révolution pour son propre intérêt sans tomber sous l’influence de la bourgeoisie en n’en reproduisant ni les intérêts objectifs, ni les modes de fonctionnement organiques notamment par la fameuse séparation entre dirigeants et dirigés.

La coupure entre dirigeant et dirigés fait que « tout se fait par en haut » depuis Staline, les dirigeants ont la haute main sur la production idéologique, et le parti ne peut rompre avec cet état de fait car le parti fonctionne comme un appareil, une machine. C’est un système qui fonctionne tout seul, si on ne prend pas la décision d’en renouveler le mode de fonctionnement.

 

Il faut « sortir de la forteresse », il faut « aller aux masses » nous recommande Althusser, non pas faire tomber les murs pour disparaître, mais s’investir dans les masses. Cet appel à des échos dans la plate-forme 1 du 37ène Congrès, c’est certain. et nous l’avons vu, partiellement dans la plate-forme 2.

 

On pourrait donc penser qu’Althusser avec ce texte de 78 se détache toujours plus de la matrice Marxiste - Léniniste qui l’avait vue se radicaliser pour combattre la droitisation du post-stalinisme.

 

Mais il n’a jamais renoncé à ses deux autres textes que sont « 22ème Congrès » et « Réponse à John Lewis » et il faut donc mesurer notre jugement. Althusser essaie de produire les conditions d’un retour au sens premier du marxisme ainsi que du léninisme, il cherche donc à créer les conditions d’un possible marxisme et léninisme, mais il n’oublie jamais non plus d’avancer des thèses pour contrebalancer les effets droitiers ou sectaires de certains textes de ces deux auteurs. Il veut les dé-dogmatiser pour mieux les développer et les actualiser.

 

Dans « 22ème congrès » 1977

 

Althusser essaie de rendre compte des conditions dans lesquelles le PCF a eu à tenir son congrès en 1976. La crise du bloc soviétique ne peut plus être niée et le PCF entre dans une durable période de déclin. Le parti tout entier sent ce qui est entrain de lui arriver sans voir les moyens de le contrebalancer, il y a donc une rigidification, mais qui se fait sur une base de droite. L’humanisme ne doit plus être contesté, l’heure est à l’avènement des droits de l’homme, droits qui sont la quintessence de l’esprit français, esprit qu’à toujours porté le PCF, qui a eu le tord de trop faire confiance à Moscou alors qu’il avait à travers l’histoire du socialisme français tout ce qui est nécessaire pour se protéger d’un tel phénomène, voilà le "roman" idéologique que les nouvelles directions essaient de nous imposer. C’est à ce moment précis que prend forme la légende d’un PCF produit du jauressisme, bien plus que du léninisme.

 

Althusser dans cet ouvrage met en avant 6 initiatives prises par le parti pour introduire sa rupture avec son passé stalinien. Mais ces 6 initiatives sont d’abord des initiatives de ruptures objectives avec son passé léniniste.

Après avoir rappelé dans son introduction que partout dans le monde le mouvement populaire et révolutionnaire est en plein effervescence dans ce milieu des années 70, il attire l’attention sur le mouvement communiste qui lui s’enfonce un peu plus dans la crise, notamment le PCF.

 

Le P.C.F y répond selon lui par 6 initiatives.

 

Première initiative : Le PCF affirme que le passage au socialisme en France ne pourra plus qu’être démocratique, ce qui sous-entend qu’ailleurs il ne l’est pas, cependant qu’il évite soigneusement de dire les causes et les conséquences et le moment où un tel phénomène se produit. Est-ce dès le début du processus révolutionnaire que le socialisme a cessé d’être démocratique en Europe de l'Est, est-ce dans l’installation des nouvelles formes stabilisées de gouvernance qui font suites ? Dès le départ il a confusion entre léninisme et stalinisme et les ressemblances, les analogies, mais aussi les différences et les divergences ne sont pas clairement posées.

 

Le flou règne en maître non seulement sur l’analyse du socialisme international et ses conditions de réalisation, mais il règne aussi en maître sur ses conditions de mise en œuvre en France, qui relèvent beaucoup de la méthode Coué et d’une vision idyllique des possibilités de passage pacifique au socialisme.

 

La construction et la mise en œuvre d’un rassemblement majoritaire devient dans la représentation intellectuelle de la direction un fantasme idéologique, un mythe qui ne peut passer que par une prise de conscience majoritaire, d’un peuple majoritaire, qui ne pourra qu’être surpris de se savoir si nombreux, le jour où enfin ( !) il acceptera de faire tomber les barrières des limbes où il continue de se débattre.

 

C’est ce mythe qu’Althusser dénonce, mythe repris aujourd’ hui par Pierre Laurent qui le pousse à sa caricature ultime dans son assertion 99% versus 1% !

 

99% possède autant que 1% sur terre aujourd’ hui, voilà un chiffre qui frappe. Et cette tendance du socialisme veut se servir de cet effet de sidération pour affirmer :

 

1) Qu’il suffit de savoir pour vouloir et pouvoir.

 

2)  Que la question principale est bien une question d’affectation et de répartition.

 

Autrement dit que ce qui fait le cœur de la problématique social-démocrate constitue aujourd’hui le point maximal, l’alpha et l’oméga d’une démarche communiste.

 

Cette idée était donc déjà totalement prégnante au moment du 22ème congrès, c’est-à-dire il y a 40 ans !

 

C’est ce qu’Althusser expose dans ce chapitre consacré à la première initiative,

 

« Pour parler enfin politique, ce n’est pas en constatant que « l’économie française » est dominée par 25 trusts géants+ 500 commis+ 500 000 grands bourgeois qu’on peut poser  et résoudre le problème politique du pouvoir de classe bourgeois dans toute sa complexité et son ampleur. Car ce pouvoir prend toujours la forme politique et sociale de ce que Gramsci appelait un « bloc au pouvoir », associant directement ou indirectement plusieurs fractions de classe sous la domination de la fraction monopoliste. On ne peut donc par une simple constatation économique, régler le problème politique de la base de masse de la domination de la bourgeoisie en tant que classe : car la politique ne se réduit pas à l’économie, et, en tant que classe, la bourgeoisie ne se réduit pas à sa fraction monopoliste qui pourtant la domine de façon écrasante. Si, en tant que classe, la bourgeoisie était politiquement réduite à sa fraction monopoliste, elle ne tiendrait pas un quart d’heure.»

 

Deuxième initiative : La situation mondiale (de l’époque) ayant changé, l’idée d’envisager un passage pacifique au socialisme devient possible.  La démocratie et la liberté étant revendiquées pour la société, le PCF doit maintenant l’envisager pour son propre parti en remettant en cause le centralisme démocratique et sa pratique bureaucratique.

 

Troisième initiative : La volonté de rompre avec le modèle soviétique s’est traduit par l’abandon « symbolique » de la dictature du prolétariat. L’idée mal exprimée sous-jacente est que les communistes ne peuvent plus défendre une dictature. En réalité, il s’agit de souligner qu’ils ne peuvent plus s’identifier à l’histoire de l’URSS en ce que sous Staline elle fut une dictature.

 

Quatrième initiative : Marchais reprend et impose son mot d’ordre « d’Union du Peuple de France » qui se veut plus large que celui d’union de la Gauche. S’il s’agit de répondre à la crise de la gauche en songeant à s’allier à d’autres, c’est de la politique politicienne, s’il s’agit de permettre un engagement effectif du mouvement de masse, de permettre de s’organiser de façon autonome dans les entreprises, les quartiers, les villages etc.. Cela peut poser les conditions de la mise en œuvre d’une stratégie communiste consistant à créer de nouveaux pouvoirs pour s’opposer au pouvoir en place et donc enclencher le déclin de l’appareil d’Etat.

 

Il faut donc donner un contenu de masse au mot d’ordre « d’Union du Peuple de France ».

 

On voit dans ce positionnement d’Althusser qu’il n’oppose pas parti et mouvement de masse mais au contraire qu’il lie les deux. Dans une pratique qui peut aujourd’ hui inspirer le Front de Gauche, ou tout type de rassemblement qui veut élargir le pouvoir du peuple à la base.

 

Cinquième initiative : En abandonnant la dictature du prolétariat, et en se tournant vers le mouvement de masse, le PCF permet paradoxalement de se poser concrètement la question  de l’hégémonie (i.e : de la dictature) de ce même mouvement face au pouvoir bourgeois et à ses méthodes de gestion qui ne sont que trop rarement démocratiques. L’abandon de la caricature de "dictature du prolétariat" mis en œuvre par Staline permet donc de réfléchir à sa mise en œuvre démocratique aujourd’ hui pour contrecarrer la dictature bourgeoise.

 

Mais, et ceci est fondamental, pour Althusser, à la condition de ne pas stagner idéologiquement dans la réalisation du socialisme.

 

Et c’est là ou la rectification althussérienne, introduit du nouveau et permet une sortie communiste à la crise du mouvement ouvrier. Le socialisme est pour lui ( au sens de Marx et de Lénine) une phase de transition et pas un mode de production. Il n’a pas de rapports de production ni de forces productives propres. C’est une période contradictoire, c’est une période instable ou la régression est toujours possible et où il faut progresser pour ne pas régresser.

 

C’est là où le contenu pratique du concept de dictature du prolétariat fait sentir ses effets, car sous le socialisme, l’ Etat ne peut se contenter de se maintenir, il doit disparaître en se transmettant au mouvement populaire, qui lui-même s’auto-organise de façon non- professionnelle et non -permanente.

 

« En vérité, et je demande qu’on veuille bien peser ces mots, « détruire » l’Etat bourgeois, pour le remplacer par l’Etat de la classe ouvrière et de ses alliés, ce n’est pas ajouter l’adjectif « démocratique » à chaque appareil d’Etat existant, c’est tout autre chose qu’une opération formelle et potentiellement réformiste, c’est révolutionner dans leur structure, leur pratique et leur idéologie, les appareils d’Etat existants, en supprimer certains, en créer d’autres, c’est transformer les formes de la division du travail entre les appareils répressifs, politiques et idéologiques, c’est révolutionner leurs méthodes de travail et l’idéologie bourgeoise qui domine leur pratiques , c’est assurer de nouveaux rapports avec les masses à partir des initiatives des masses, sur la base d’une nouvelle idéologie prolétarienne, afin de préparer le « dépérissement de l’appareil d’Etat » c’est-à-dire sa relève par des organisations de masses.

 

Cette exigence tient à la théorie marxiste de l’Etat. les appareils d’Etat ne sont pas neutres, mais au sens propre les appareils répressifs et idéologiques organiques d’une classe : la classe dominante . Pour assurer la domination de la classe ouvrière et de ses alliés et préparer à plus longue échéance le « dépérissement » de l’Etat on ne peut éviter de s’attaquer aux appareils d’Etats existants. C’est la « destruction » de l’Etat. Faute de quoi la nouvelle classe dominante pourrait rester battue dans sa victoire, ou au contrainte à piétiner et s’embourber dans ses conquêtes, renonçant à toute perspective sérieuse de passer au communisme.

 

Si l’on veut des exemples où l’Etat n’est pas détruit, et n’est pas en voie d’extinction il suffit de regarder du côté des pays socialistes. »

 

Le 22ème congrès en s’interdisant de poser ces questions sous cet angle s’est coupé de toute possibilité de résoudre la question de l’Etat dans un sens communiste.

 

Sixième initiative : la démocratie interne au parti n’a pas été modifiée, le maintien du centralisme démocratique se poursuit dans ce qu’il a de contraignant et de contre-productif.

La coupure hiérarchique entre base et direction est maintenue, sur la question des candidatures et des délégués. Le centralisme démocratique est audible dans sa fonction d’unité vis à vis de la bourgeoisie, mais il ne peut être invoqué à tout propos et pour justifier n’importe quelle pratique de la politique.

Althusser n’est pas favorable aux tendances et aux fractions. Il considère que le parti attend autre chose. Il faut organiser les conditions d’une démocratie de discussions et de confrontations. Car l’objectif de l’unité a pour fonction d’organiser la mise en action.

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