top of page

Trotsky et le capitalisme d'Etat (partie 2)

​ Cette conception de l'économie qui fait de Trotski un continuateur idéologique de Ricardo bien plus que de Marx, a eu des effets très réels sur la mouvance trotskiste elle-même, puisque c'est en partant de cette vision des choses que la revue Critique de L'Economie Politique, revue économique de feu la LCR, a été liquidée et que par la suite ce courant " Communiste " c'est auto-dissous en une vulgaire mouvance " anticapitaliste ". La confusion entre salariat (i.e : payés) et classe ouvrière, la négation de l'exploitation au profit d'une fumeuse illusion petite-bourgeoise de démarchandisation et de désaliénation " humaine ", imposition du seul rapport salarial, tout est déjà chez Trotski, tout est inscrit en filigrane, dans la perception du monde du dernier représentant conséquent du social-démocratisme de gauche. D'où sa vision de l'économie mondiale qui en fait un continuateur mécaniste de la spatialisation impérialiste. Seuls, pour lui , le " centre ", la " ville ", etc. peuvent produire un projet révolutionnaire.

 

Urbahns n'interpelle pas Lénine et Trotski sur la nature juridique des institutions et des Etats, Capitalistes ou prolétariens, en partant d'une simple appréciation formelle de leur nature. L'Etat serait prolétarien ou ouvrier parce qu'on le dit, parce que la propriété privée n'existe plus, parce qu'un parti " communiste " est au pouvoir.
Il les interroge sur le contenu des forces productives qui engendrent ou non par leur mode d'organisation, la division technique et la division sociale (et plus particulièrement la dimension sociale de la division technique) le fait qu'un système produit ou non, des rapports sociaux bourgeois. Ce qui justifie l'affirmation que c'est une bourgeoisie qui est au pouvoir, par simple existence d'une division technique et sociale, et par l'affirmation indestructible du marxisme que seule l'exploitation engendre le statut (l'ouvrier) et à la fois son résultat (le surproduit). Que par conséquent tous ceux qui dans leur procès de travail au sein du procès de production, ne sont pas productifs au sein plein et stricte du marxisme, sont des bourgeois, (entre autres les fonctionnaires).
Une bourgeoisie " rouge ", peut-être, composée en partie d'anciens ouvriers, peut-être, mais une bourgeoisie quand même. C'est pourquoi l'imprécision du vocabulaire est ici essentiel, car il traduit chez Lénine (voir notre précédent article, sur la relation de Lénine et la Gauche Communiste) et plus encore chez Trotski, la marque de l'imprécision conceptuelle.
En se référant à la nature juridique des Etats, sous le vocable indifférencié d'Etat bourgeois ou d'Etat Capitaliste, et en lui opposant le concept contraire d'Etat prolétarien. Trotski peut réaliser son tour de passe - passe consistant à affirmer que l' U.R.S.S puisqu'elle est un Etat prolétarien est aussi un Etat Ouvrier.

 

Or nous le savons (mieux aujourd'hui) si l'imprécision conceptuelle était pardonnable à l'époque de Marx qui utilisait de façon indifférenciée les 2 termes de bourgeoisie et de capitaliste, mais aussi ceux d'ouvrier et de prolétaire, il devient essentiel à l'analyse de l'échec du " socialisme ayant réellement existé " de les redéfinir dans le cadre actuel.
L'U.R.S.S des origines est un Etat prolétarien (propriété publique ou "a - propriété", car comme le rappel si justement la philosophie : si tout le monde est propriétaire personne ne l'est) où la classe ouvrière n'est pas au pouvoir.
Pour une raison basique simple, donner le pouvoir politique aux ouvriers (au sens marxiste du terme) revient de facto à entreprendre la destruction de l'Etat, de tout Etat. Sinon, on donne le pouvoir à un groupe improductif qui gère et dirige au nom de la classe ouvrière.
Le seul modèle qui de façon dialectique s'oppose à ce simple constat basique, c'est la Commune de Paris. On élit et on révoque, on institue le turn-over entre les productifs et les improductifs (par nécessité), ce en quoi elle est bien la première expérience de dictature du prolétariat (Si on veut bien idéaliser le problème, dans la réalité historique cela ne c'est pas tout à fait passé comme cela, les leaders sont restés à la tête du mouvement et à l'Hôtel de Ville du début à la fin, mais enfin, c'est comme cela que Marx nous présente idéalement la chose et nous dit :ça c'est la dictature du prolétariat !)

La bourgeoisie comme groupe sociologique ne se caractérise pas par son rapport à la propriété, mais par son rapport à l'accaparement du surproduit. Si tous les capitalistes sont des bourgeois, tous les bourgeois (l'immense majorité même) ne sont pas des capitalistes.
On peut donc très bien envisager un Etat prolétarien c'est à dire un Etat où les non-propriétaires des moyens de production soient au pouvoir, sans que ce soit la classe ouvrière (les productifs au sens marxiste strict du terme) qui y soit. Cela est même le cas le plus répandu dans tous les systèmes qui ont existé. Cela veut dire clairement que c'est bien la bourgeoisie qui est au pouvoir, c'est à dire un groupe qui ne vendant pas sa force de travail dans un processus productif, assume des fonctions de reproduction du système qu'elle défend.
La bourgeoisie dirige l'Etat capitaliste comme elle dirige l'Etat prolétarien ( ce en quoi " la bourgeoisie est toujours d'Etat "- Louis Althusser). Dans le premier cas les capitalistes, les patrons, n'ayant pas le temps de s'occuper des affaires courantes délèguent à une fraction d'entre- eux les bourgeois cette mission (Tous les patrons sont des bourgeois, tous mettent en œuvre le processus de production pour dégager un surproduit) . Ce en quoi la bourgeoisie est toujours du côté de ceux qui mettent en mouvement le capital (Les capitalistes) pour lui faire rendre plus de valeur qu'il ne contient.

 

Qui assume ce rôle dans un Etat prolétarien ? Ce ne sont pas des membres de la bourgeoisie indépendante (capitaliste par existence d'un droit privé) ce sont des membres de l'appareil d'Etat qui font jouer à cet appareil le rôle de centralisateur du surproduit, d'investisseur de l'une de ses fractions dans un nouveau cycle de production. Ce que cette production rapporte ? C'est un surproduit qui sert à la renouveler et éviter son procès, non pas de " prolétarisation " (conceptualisation impropre, car ils le sont déjà prolétaires, ils sont déjà privés de propriété sur les moyens de production, mais pas sur leur force de travail) mais " d'ouvriérisation " au sens marxiste strict, c'est-à-dire qu'ils subissent l'exploitation.

 

En ce sens, oui, nous affirmons que la Gauche Communiste a vu juste, quand elle affirmait que c'est une bourgeoisie rouge qui était au pouvoir en U.R.S.S, elle n'a jamais dit que c'était des capitalistes.

Mais c'est bien via l'Etat (sous la forme de propriété publique) que s'opère le cycle de reproduction de celle-ci, ceci sous la forme de la réalisation d'un surproduit qui lui permet de se reproduire et de se maintenir au pouvoir. Il s'agit bien d'un Capitalisme d'Etat. Un capitalisme qui n'a pas pour fonction de soutenir le capital privé comme dans les situations historiques vécues jusqu'à ce moment, au moins dans un premier temps, mais bien comme tout capital de permettre la pérennisation d'une bourgeoisie, son renouvellement.
 

C'est pourquoi tous les marxistes conséquents ont toujours lié l'existence des classes sociales à l'existence des Etats et réciproquement. C'est pourquoi, seul le communisme peut résoudre la question de l'existence des classes sociales dans la mesure où il fait disparaître les Etats.

Que cette bourgeoisie soit " bureaucratique " est inessentiel au regard du marxisme, elle l'est dans toutes les sociétés quelque soit la nature des Etats. Ce qui par contre est symptomatique, c'est qu'elle ait besoin du capitalisme, pour produire un surproduit nécessaire à son renouvellement. Dès lors et in fine, il ne lui est pas indifférent que la forme de propriété des moyens de production soit privée ou publique. Elle peut avoir tout intérêt à ce que la forme de propriété soit, ou, redevienne privée, dans la mesure où cette forme est beaucoup plus efficace pour exploitée la classe ouvrière. Dans ce cas elle pourra très bien supporter à ses côtés l'existence d'un capital public auquel elle fera jouer le rôle de simple amortisseur des fractions de capital, peu ou mal rentabilisées.

 

Réfléchir à ce que représente les " nationalisations ", le " capitalisme d'Etat ", surtout quand on combat pour leurs extensions, n'est pas une question subsidiaire, un simple avatar historique, produit d'une phase régressive où une fraction réactionnaire tenterait de dénaturer l'expression obligée d'un auto-mouvement " naturel " des forces productives, comme le pense Trotski. Les nationalisations constituent un premier moment nécessaire à l'évolution progressiste de l'histoire de l'humanité dans sa lutte pour se libérer des sociétés de classes, on ne peut pas voler par dessus son époque.

C'est pourquoi, des trois grandes organisations trotskistes qui existent encore aujourd'hui en France, aucune ne conteste plus la dimension progressiste des nationalisations, dans l'histoire de la lutte du mouvement ouvrier, mais elles continuent pour certaines d'entre elles, d'entretenir des relations ambiguës avec ces thèses peu et mal construites, l'échec patent de l'approche de Trotski en économie politique. Un kantisme économiciste le 'progressisme 'de forces productives éthérées donne L.O (surtout ne pas s'opposer au développement du capitalisme, notamment en Europe, car on risquerait d'empêcher les forces productives de se développer et par effet mécanique à la classe ouvrière de grossir). La stagnation des forces productives en relation avec la militarisation de la société a donné l'O.C.I, devenu aujourd'hui, P.O.I, rassemblement fourre-tout de tout ce que l'histoire à produit du mouvement ouvrier, des " anarchistes " aux " communistes ", sans tenir compte des conditions économiques de leur apparition et sous la férule bienveillante d'une direction trotskiste qui, elle, sait ou elle va. Quant aux Jeunes-marxiens du N-P-A, le mouvementisme du jeune salariat radicalisé, leur sert de thermomètre depuis 40 ans attendant une hypothétique révolution mondiale. Pendant ce temps, la question essentielle que se posait la Gauche Communiste Léniniste continue d'être présente et non résolue : une fois le capitalisme d'Etat instauré, comment le faire disparaître ?

 

Trotski a raison de dire, dans le court paragraphe qu'il consacre à la façon dont Lénine envisageait le Capitalisme d'Etat, que pour ce dernier il s'agissait d'un stade intermédiaire entre le capitalisme privé et le socialisme. Que sa forme de représentation et de définition, qu'il en donne, est conforme avec ce que l'expression traditionnelle entendait par capitalisme d'Etat ( et qui va bien au-delà de ce que Trotski en dit). Enfin que le recours au capitalisme d'Etat sous la seule forme de la concession durant la N.E.P n'a pas duré (ce qui n’abolit ni sa présence dans la division du travail, ni celle sous la forme d’entreprises nationalisées).
Mais très bizarrement et de façon symptomatique, cela le contraint théoriquement à rendre hommage à Staline. C'est pourquoi presque immédiatement, il fait marche arrière :



" Cependant, ici aussi, il faut écarter des malentendus possibles, cette fois-ci d'un genre tout à fait contraire. Lénine choisissait ses termes exactement. Il appelait les trusts non pas les entreprises socialistes, comme les nomment maintenant les stalinistes, mais du " type socialiste ? " Trotski.



Il est impératif pour lui de ne pas se faire piéger, il ne peut pas décerner un label à un régime qu'il ne reconnaît pas. Mais à l'opposé, il ne peut pas remettre en cause un système qu'il a contribué à instaurer. Si ce n'est pas du capitalisme privé, si ce n'est pas du socialisme, c'est quoi camarade Trotski ?
Du " type ", nous les économistes, on ne sait pas ce que cela veut dire. Assez symptomatiquement d'ailleurs par une " bévue " qui lui échappe, il reconnaît lui même 2 paragraphes plus haut ce qu'il refuse de nommer.



" Le développement ultérieur de l'économie soviétique, particulièrement l'industrie, Lénine se le représentait sous la forme d'une concurrence des entreprise étatiques-capitalistes et celles purement étatiques. " Trotski.



Il y a donc bien lutte entre l'ancienne forme de capitalisme d'Etat ( celui qui soutien l'entreprise privée) et les nouvelles formes d'entreprises étatiques que Trotski évite soigneusement de qualifier de socialistes car il serait bien en mal d'en définir le contenu.

Autrement dit, pour Lénine sous la phase historique de la N.E.P, si cette phase s'était maintenue (ce qui n'aura pas lieu) la confrontation aurait du se faire entre capitalisme d'Etat ancienne formule et capitalisme d'Etat nouvelle formule.
Là on progresse, là on voit mieux. On progresse toujours avec Lénine même quand il se trompe, ce n'est malheureusement pas toujours le cas avec Trotski, même si certaines de ses formulations nous intéressent.

Ce en quoi nous communistes de gauche, en faisant porter toute notre attention sur le Capitalisme d'Etat, nous sommes bien plus léninistes que les trotskistes.

Nous l'avons vu dans notre précédent article la relation de Lénine avec le capitalisme d'Etat, Lénine considère ce dernier comme " l'antichambre du socialisme ". Dans son célèbre ouvrage " sur l'Infantilisme de Gauche " il s'en fait le champion. C'est, pour lui, une nécessité absolue, indispensable pour développer les forces productives dans un Etat en transition économique qui connaît un fort sous développement, il est aussi le moyen éducatif par lequel la classe ouvrière apprend à " gérer " son système (et seulement à gérer, ce qui fait la limite de la pensée de Lénine). Le capitalisme d'Etat allemand de l'époque Bismarck est un exemple dont doit s'inspirer et s'inspire de plus en plus la classe ouvrière russe.
 

A l'opposé, Le Capitalisme d'Etat devient pour Trotski le mal absolu, qui empêche les forces productives de s'étendre à l'ensemble de la planète et donc de poursuivre leur travail de sape des Etats-nations. Il va même jusqu'à prétendre que Lénine n'en a jamais été partisan, ce que le recours aux simples écrits infirme totalement.
Le point de vue de Trotski présente donc une différence fondamentale avec Lénine. Lénine croît à la construction du socialisme en U.R.S.S comme résultat et suite du développement conséquent du capitalisme d'Etat dans ce pays, même s'il pense que la poursuite du processus nécessite l'extension de la révolution au reste du monde. Trotski, lui affirme que " les trusts " qui dominent l'actuelle U.R.S.S (de Staline) ne peuvent prétendre qu'à un caractère " tendant vers le socialisme " ce qui ne résout pas le sujet et maintient une position très confuse. D'où la question du " Socialisme " que Trotski est contraint pour finir à aborder dans la dernière partie de son article.



" Les Trusts recevront le droit de se qualifier de socialistes, non pas pour le type, c'est à dire pour les tendances, mais pour le contenu, quand ils auront révolutionné l'économie agraire, quand ils auront anéanti la contradiction entre la ville et le village, autrement dit seulement quand sur la base de l'industrie nationalisée et de l'agriculture collectivisée, ils formeront une véritable société socialiste. " Trotski.



La phrase commence très bien, va t'on enfin parler du contenu des trusts, de leur procès de production ? Pas du tout, le contenu (indéfini ?) ne sert qu'à bouleverser l'extérieur, non pas à transformer la manière de produire dans une entreprise, mais tout simplement à révolutionner la campagne.
On voit mieux ici ce que veut dire le mot " socialisme " et pourquoi il fait des forces productives cette force " venue d'ailleurs " qui a pour principale tâche et fonction de transformer essentiellement son environnement. Car l'action ici clairement définie, c'est de bouleverser ce qui entoure, bouleverser, car ce qui entoure est en " retard ". Pas un mot sur les contradictions qui minent les forces productives, pas un mot sur la fin de la division technique et la division sociale du travail en leurs seins. Autrement dit, pas un mot sur les mécanismes réels qui créent les classes, produisent l'Etat etc. Leurs tâches c'est d' ouvriériser les secteurs qui ne sont pas encore atteints par le développement des techniques capitalistes de production, la dialectique du " contenu " est externe, mais aucune contradiction interne n'est mis en avant. L'économisme coule à flots.
Une nouvelle fois la construction conceptuelle du raisonnement s'en ressent : " l'industrie nationalisée ?" comment peut-on nationaliser l'industrie, et construire un raisonnement en partant de ce concept, si on nie tout rôle à l'Etat-nation, ce vilain Etat-nation qui ne fait que s'en prendre aux forces productives. Au reste, le socialisme tel que l'envisage Trotski n'a t'il pas déjà résolu cette contradiction, puisqu'il ne peut pas y avoir selon lui de " socialisme " dans un seul pays ? Qu'est-ce que cette nationalisation qui n'est pas nationale, d'où sort son droit ?
Si l'industrie est nationalisée, l'agriculture elle, est " collectivisée " ? De quoi Trotski parle t'il ?
L'agriculture ne peut pas être nationalisée ? Pourtant avec les Sovkhozes, une telle situation existera, on présentera d'ailleurs leurs capacités productives, comme étant supérieur aux Kolkhozes " collectivisés ".
Soit dit en passant, dans l'analyse des communistes de Gauche, le collectivisme est la forme sous laquelle la nationalisation doit trouver son débouché naturel, Il est dans la dialectique interne des forces productives et des rapports de production, le moteur par lequel la fin de la division technique produit un effet sur la fin de la division sociale du travail et conduit le droit à son dépérissement.

L'opposition des 2 secteurs mis en avant par Staline et reprise in texto par Trotski, devient la simple lutte entre 2 formes d'expressions juridiques où la socialisation productive se réduit à une dialectique externe portant sur les formes de propriétés. La confrontation entreprise industrielle nationalisée et entreprise agricole privée " socialisée " par une mise " en commun " juridique, se réduit à un simple transfert de technologie conçu en dehors de l'agriculture. L'usine 'civilise' ces barbares en retard, la ville s'étend à la campagne.

Aujourd'hui où le modèle dominant - dominé porté par le scientisme est remis en cause, on peut peut-être retournée la question aux 'civilisateurs' : Par quoi la campagne 'civilise'- t' - elle la ville ? La crise du productivisme, la crise écologique, liée à la naturalisation des forces productives (n'importe quelle machine devant servir n'importe quel système économique) atteint son apogée il n'est peut-être pas inutile de se reposer cette question. Oui, Les Communiste de Gauche avaient 2 longueurs d'avance.

Dès lors l'étrange raisonnement développé par Trotski sur Hitler refusant d'importer " la machine " force productive conçue à l'extérieure de la formation sociale allemande, reprend tout son sens.

L'erreur d'Hitler, n'est pas d'avoir refusé la machine, dont la force productive est supérieure à celle que pourrait produire l'industrie allemande. Son erreur, sa bévue, est d'avoir d'abord cherché à l'imiter à la copier, en ne jouant que sur les coûts et non sur son essence (Ce en quoi Trotski partage la même erreur, lui aussi, ne conçoit la machine que dans sa relation au marché et non dans sa relation à la production, il ne l'envisage lui aussi que comme un coût), Hitler est bien par essence le produit de la bourgeoisie allemande, mais Trotski ne nous aide pas à rompre avec l'idéologie bourgeoise. Avec l'idéologie capitaliste peut-être, mais sûrement pas avec l'idéologie bourgeoise.

Que peut-on retenir de la tentative de théorisation de Trotski " L'Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré ", qui fit sa singularité durant des dizaines d'années dans le concert des critiques de gauche de la dégénérescence de la première expérience révolutionnaire.

Certainement la volonté de rester fidèle à Lénine, y compris quand celui-ci commet l'erreur de n'envisager le rôle de la classe ouvrière que sous sa dimension de force maïeutique entraînant la disparition de toutes les classes sociales. Le communisme libère l'humanité, toute l'humanité. Il libère donc la bourgeoisie et en son sein sa fraction capitaliste, de la dimension " aliénatrice " qu'entraîne tout naturellement l'existence de la propriété privée des moyens de production. C'est pourquoi la théorie de l'aliénation joue un tel rôle chez les trotskistes et que comme pour tous les partisans du " jeune " Marx, l'aliénation recouvre la théorie de l'exploitation. Cette dernière ne devenant centrale chez Marx qu'au moment de la réalisation de son œuvre majeure " Le capital ", notamment du livre I (Voir l'excellente préface de Louis Althusser au livre I chez Garnier Flammarion).

On a assez dit que le messianisme révolutionnaire, "l'homme " en situation, luttant contre toutes les formes d'oppressions et d'aliénations était une caractéristique de la première partie de l'œuvre et la vie de Marx. " Faire " la révolution y joue un rôle central, la " fonction " de la classe ouvrière est de se conduire en conformité avec " son " essence, qui est d'apporter à l'humanité le souffle nécessaire à la résolution de ses contradictions, au premier rang desquelles l'existence de classes sociales.
Sauf que cette vision très idéaliste de la résolution des contradictions, fait porter sur la seule volonté du sujet (individu ou classe sociale) toute la responsabilité historique de la transformation de structures sociales qui sont bien autres choses que de simples organes produits mécaniques d'un fonctionnalisme, qu'il suffirait de révolutionner pour changer d'orientation voir les faire disparaître. L'autonomie (même relative) des appareils, nécessitera bien d'autres qualités que la seule volonté des sujets révolutionnaires, pour les transformer. C'est ce que le bilan de l'histoire du " socialisme ayant réellement existé " nous conduit aujourd'hui à penser.

Le mode de production capitaliste comme objet n'est pas essentiellement le résultat d'un échange volontaire entre les hommes, qu'une révolution psychologique suffirait à remettre sur ses pieds. Autrement dit, il n'est pas d'abord et essentiellement le produit de relations sociales humaines, qu'une juste prise de conscience suffirait à renverser. Le capitalisme comme mode de production est le résultat de rapports sociaux de production masqués, qui échappent à la conscience des hommes, au premier rang desquels le rapport d'exploitation. Le rapport d'exploitation qui crée la plus - value
(ou Survaleur) échappe à l'échange, à la circulation, au marché. Ce qui " apparaît " sur le marché c'est le profit, ce n'est pas la plus-value, ce qui " apparaît " sur le marché c'est " l'aliénation " du rapport salarial, sa fausse ressemblance avec une "location ", ce n'est pas l'objectivité du rapport d'exploitation " sa vente ", sa capacité à produire plus valeur qu'elle ne contient.

Le rapport d'exploitation tient plus du ratio mathématique 1/X c'est-à-dire de la domination, que de " l'image " ou du " reflet "- miroir f(x)=Y. Or toute l'idéologie sémantique et lexicale bourgeoise a tendance à réduire le concept de rapport à celui de relation.

 

C'est pourquoi, les communistes authentiques ne peuvent que remercier le freudisme et sa défense intransigeante par Lacan d'avoir rappelé cette évidence : la Relation n'est pas l'essence du Rapport, la relation masque la nature profonde du rapport. Même si ce qui se manifeste à travers le sujet et sa locution c'est la relation, la relation " apparaît comme " ou " ressemble à " un rapport. Mais la théorie de l'exploitation tout comme la théorie de l'inconscient sont structurées comme un langage, un échange, et il faut aller derrière l'image, démonter la structure, pour comprendre que ce qui s'affiche, ce qui circule, est là pour masquer, masquer le rapport.

" La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une " immense accumulation de marchandises ", l'analyse de la marchandise forme élémentaire de cette richesse, sera le point de départ de nos recherches ".

C'est par cette introduction célèbre que Marx commence son ouvrage révolutionnaire " Le Capital ". La marchandise fruit de la circulation, de l'échange et du marché, a beaucoup à voir avec la parole fruit du sujet et de sa " libre " expression. Mais pas plus que le mot comme réalisation de l'esprit, et forme élémentaire du non- conscient psychologique, donne spontanément accès à l'inconscient freudien, la marchandise et le bénéfice qu'elle réalise ne permettent de comprendre les mécanismes de l'exploitation de la force de travail. Il faut aller au-delà, démonter les mécanismes de la structure, celle du langage et celle de l'exploitation.

Quelle conclusion essentielle devons- nous en tirer. D'abord celle-ci, qui n'a jamais été mis en avant, mais qu'il nous paraît essentiellement aujourd'hui de réaffirmer. Peu, très peu, de militants communistes ont compris, l'immense révolution conceptuelle que l'althussérisme, nous a permis d'effectuer.
De sa réévaluation de l'approche psychanalytique en rapport avec la théorie de l'exploitation :
Pas plus qu'il n'est besoin que la guérison du sujet passe par une phase de conscientisation, l'insight pouvant fort bien conduire à une " guérison de surcroît ", il n'est obligé que la résolution et la disparition de l'exploitation, ne passe pas la mise en mouvement d'une classe ouvrière " consciente d'elle même " surtout si c'est pour découvrir après la nécessaire révolution que si tout change rien ne change. Ceci au moins pour quatre raisons :

 

- La première c'est que quelque soit la nature du système qui surgira du capitalisme classique, celui-ci sera toujours obligé de dégager un surproduit. Ce surproduit ne s'appellera plus rente ou corvée comme sous le féodalisme, plus-value comme sous le capitalisme, mais il existera. N'en déplaise à tous les gauchistes, le sujet n'est pas tout puissant dans la résolution des contradictions objectives sociétales. (Il faudra un surproduit, pour nourrir, tous les inactifs : jeunes, vieux, malades, réaliser l'élargissement productif etc. etc.), il faudra donc le produire. Qui le produira ? Comment = Nécessité du surproduit.

- La seconde, c'est qu'il existera durant une très longue période des tâches sociales nécessaires, mais profondément ingrates, engendrées non pas par la " volonté " des sujets, mais par le pur effet mécanique de l'objet système. Qui les effectuera ? Comment = Nécessité de la division du travail et de sa résolution comme contradiction.

 - La troisième c'est que l'analyse moderne de la marchandise, le freudisme utilement lié au marxisme, nous a définitivement mise en garde sur l'illusion d'une société de la transparence et l'accès à une marchandise " désaliénée " qui " saisissant " la scorie du désir permettrait enfin d'aboutir à la " vérité " du besoin, et donc à la toute puissance du " planificateur " apte " scientifiquement " à cerner la " personnalité " du consommateur et déterminer par avance sa nature. Le marché semble devoir durer au-delà de tout ce que les utopies avaient imaginé.

La désaliénation n'est pas près d'avenir, ni pour le petit d'homme qui ne peut se construire sans prohibition de l'inceste, et donc accéder en conscience à l'objet de son désir, ni pour le militant communiste qui vivant dans une société de transparence ou sa représentation du monde pourrait enfin se passer d'une mise en imaginaire idéologique, verrait pour la première fois de l'histoire de l'humanité apparaître une société sans croyances, et sans illusions, sur elle-même. Nécessité de la marchandise.

- Enfin et selon toute vraisemblance, la rupture avec le capitalisme classique, a toutes les chances de continuer de s'opérer sous la forme de rupture dans les formations sociales, les unes après les autres. Dès lors, la disparition de la propriété privée, ne pourra prendre que la forme de propriété publique, ceci avant qu'elle ne s'attaque à la mise en place d'une économie collective.

 

 

Les 3 principales organisations trotskistes en France ne disent pas autre chose, ce en quoi elles sont en rupture avec ce que dit Trotski dans le texte que nous venons d'analyser. Nécessité du Capitalisme d'Etat.

 

-Comment en finir avec le Capitalisme d'Etat ? - Voilà la seule question communiste qui vaille.

- Comment conduire sous le socialisme, le Capitalisme d'Etat au Communisme ?

 

Nous, nous prononçons, au risque de décevoir les producteurs d'imaginaires collectifs.

 

- Généralisation et universalisation du statut de membre de la classe ouvrière (salarié exploité) prolétarisé (non- propriétaire des moyens de production).
- Généralisation de la fin de la division du travail (division technique, division sociale)
- Disparition par extinction des Etats, du droit, comme contradictions essentiellement internes aux formations sociales,                                                    -fin de la délégation permanente de pouvoir, imposition du turn-over des missions et des délégations.
- Passage du droit public de propriété au droit collectif avant l'extinction de toute forme de droit.

- Fin des illusions sur la désaliénation et la transparence sociale, le communisme n'est pas la fin de l'Histoire, c'est la fin des sociétés de classes.

 

Ce n'est ni la fin des rêves, ni la fin des désirs, ni la fin des croyances, pas plus que celle des illusions, en un mot ce n'est donc pas la fin de l' Art, c'est plus vraisemblablement le remplacement de la marchandise par l'œuvre d'art. Si tout acte productif devient œuvre d'art, il absolutise la marchandise (puisque la meilleure illustration de la conception bourgeoise de la loi de la valeur se rencontre aujourd'hui sur le marché de l'art et la dimension unique qu'il concède à chaque produit), mais il rend aussi impossible toute reproduction et toute comparaison, ce qui détruit la marchandise. (Anna Arendt : "La condition de l'Homme Moderne")

                                                                                                                 P.M.

LETTRE à " France -Soir " (texte présent sur le site marxism.org)
de Natalia Trotski (9 novembre I961)

"Monsieur le directeur,
Dans l'interview faite par M. Michel Gordey et publiée dans France-Soir le lundi 7novembre, il est dit au second paragraphe : " Elle ( c'est à dire moi-même) espère, avant de mourir, assister à la réhabilitation par le communisme mondial de celui (Trotski) qui fut, après Lénine, le plus grand révolutionnaire des temps modernes et le père spirituel de Mao Tsé-toung, le chef communiste chinois "
Ces paroles ne m'appartiennent nullement ; elles ont été introduites par le rédacteur de l'interview. Je me vois donc obliger de préciser ce qui suit :
1.      Un grand révolutionnaire comme Léon Trotski ne peut en aucune manière être le père de Mao Tsé Toung, qui a conquis sa position en Chine en lutte directe avec l'opposition de gauche (Trotskiste) et l'a consolidée par l'assassinat et la persécution des révolutionnaires, tout comme l'a fait Tchang Kai-Chek. Les pères spirituels de Mao Tsé Toung et de son parti son évidemment Staline (qu'il revendique d'ailleurs comme tel) et ses collaborateurs, M. Khrouchtchev inclus.
2.      Je considère l'actuel régime chinois, de même que le régime russe ou tout autre bâti sur le modèle de celui-ci, aussi éloigné du marxisme et de la révolution prolétarienne que celui de Franco en Espagne.
3.      La terreur policière et les calomnies de Staline n'étaient que l'aspect politique d'une lutte à mort contre la révolution, menée par l'ensemble de la bureaucratie. On ne peut donc attendre le rétablissement de toute la vérité que de l'anéantissement de cette bureaucratie
par la classe ouvrière qu'elle a réduite en esclavage. Je n'espère rien du parti russe ni de ses imitateurs foncièrement anticommunistes ; toute déstalinisation s'avérera un leurre, si elle ne va pas jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat et la dissolution des institutions policières, politiques, militaires et économiques, bases de la contre révolution qui a établi le capitalisme d'Etat stalinien. "

Natalia Trotski c'est donc ralliée à la thèse du Capitalisme d'Etat. Mais elle l'a fait sur la base de la G.C historique, en considérant le Capitalisme d'Etat comme un stade réactionnaire. Sa haine de Mao prend sa source ici.

bottom of page