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Lire Staline (partie 4)

Intervenir dans la conjoncture comme membre de la Gauche-Communiste du PCF

(article paru dans "Approches Marxistes" revue de la Gauche Communiste du P.C.F)

 

J’ai entrepris sur ce site Débat Communiste Ouvrier (debatco.wix.com) une série d’articles concernant les textes de Staline et sur ce qui, pour moi, constitue le cœur de la déviation stalinienne. Notre sensibilité dans son exergue rappelle que nous sommes un courant qui veut rompre avec le stalinisme, y compris cette part de stalinisme qui continue de se maintenir dans les pratiques actuelles du PCF, qui ne tolère qu’à peine l’opposition à la ligne majoritaire, l’écarte bureaucratiquement à chaque congrès en réduisant volontairement sa représentativité. Aujourd’hui la droite de notre organisation, à travers ses différentes composantes,savoir :

1) le reste de la sensibilité Hue dont la majorité est passée à la social- démocratie.

2) Le buffétisme, expression de la tendance sociéto-sociale appelant à dissolution du mouvement communiste dans le mouvement radical (Comité Antilibéraux ou Comité Front de Gauche),

3) le courant de Pierre Laurent souhaitant maintenir le rapport institutionnel à l’Union de la Gauche, expression directe des intérêts de ce qui reste du bloc des élus),

 

ce conglomérat des « droites » reconnait le droit aux courants de publier des plates-formes alternatives.

 

Ce progrès n’est que l’expression d’un phénomène historique devenu incontournable, le retour à l’expression médiée (exprimée par des sensibilités, courants, fractions etc.) de la division objective des classes ou fraction de classe qui forment le pôle progressiste.

 

Il convient historiquement de reconnaître dans la société comme dans le parti communiste des courants [droite, centre, gauche] mais aussi des tendances, interprétation de ces courants. [Exemple dans le courant de la gauche du PCF : les marxistes-léninistes (ex-prosoviétiques ou prochinois), les marxistes-révolutionnaires, (trotskistes, luxemburgistes, eurocommunistes de gauche, etc…) les marxistes-alternatifs (rouges-verts, rouges-noirs « anarcho-syndicalistes », partisans de l’union à la base ou des collectifs Fronts de gauche etc..).]

 

Pourquoi la droite de notre organisation dans les moments historiques où elle assure et exerce sa domination permet- elle, l’expression d’une telle réalité ?

Parce qu’elle est dans son fonds, libérale. Elle souhaite permettre l’expression de l’idéologie spontanée des dirigeants, aux premiers rangs desquels les élus, mais aussi tout l’encadrement intermédiaire (par exemple l’encadrement syndical) fruit de l’institutionnalisme bourgeois et de la délégation de pouvoir. Un élu de collectivité ou de groupe professionnel n’est pas simplement élu de sa référence ou de ses valeurs, il devient l’élu de toute la collectivité de vie ou de travail. C’est ce phénomène qui nourrit la droitisation, non par trahison subjective, mais par réalité objective. Si l’élu n’est pas canalisé idéologiquement, s’il n’est pas suivi politiquement et organisationnellement, rien ne vient contrecarrer sur un temps long les effets naturels de la droitisation engendrée par l’institutionnalisme. La philosophie spontanée qui s’impose alors à lui et qu’il utilise pour chercher à contrecarrer une telle réalité c’est le libéralisme. Si l’élu doit s’abstraire du poids du parti, c’est qu’il a en face de lui des individus dont il doit tenir compte comme « sujets » et qu’il doit respecter. Et s’il respecte les idées opposées aux siennes parce qu’elles sont portées par des individus relevant de la collectivité dont il a la charge, il ne peut que difficilement les refuser à la collectivité (le parti) dont il est issu.

C’est pourquoi tous les courants ou fractions de droite qui se sont constitués à l’intérieur du parti au moins dans un premier temps, que l’on songe par exemple aux Rénovateurs, Refondateurs, Reconstructeurs etc.. sont apparus comme libéraux, ils ont fédéré des militants issus des 3 courants, pour finir franchement par se droitiser.

 

 

Nous venons donc de le voir, l’histoire de la lutte des classes est l’histoire de la lutte entre les courants qui traversent la société comme ils traversent les partis politiques. La spécificité de la tendance marxiste-révolutionnaire, vis-à-vis de celle du marxisme-léninisme, étant de reconnaître qu’il existe non pas 2 courants, mais 3 courants au sein du mouvement communiste. La droite, le centre, la gauche. La volonté des M.L de réduire la conflictualité à deux pôles a pour objectif de faire de Staline un représentant de l’aile gauche de l’histoire du Mouvement Communiste International, le dernier et le seul véritablement conséquent.

 

Dans le courant marxiste-révolutionnaire au sein du PCF, que l’on peut réduire dans sa forme organisé à deux tendances : la Gauche Communiste et la Riposte (on ne peut encore déterminer avec certitude dans quel sens souhaiteront travailler les partisans de Christian Piquet (ex :G.U)). Notre spécificité est que nous voulons aboutir à un dépassement des cristallisations idéologiques dans des groupes se réclamant d’un : trotskisme, luxemburgisme, bordigisme, conseillisme, communisme syndicaliste, voire maoïsme etc.. pour retrouver un rapport direct à ces théoriciens pour redresser la droitisation actuelle du PCF. Autrement dit nous acceptons la diversité d’origine idéologique de nos sympathisants en vue de travailler à une refonte-fusion de notre courant : « la gauche » du PCF, son homogénéisation, et c’est en ce sens que nous travaillons en partenariat avec le courant marxiste-léniniste non-dogmatique (P.R.C.F - R.C.C), malgré nos divergences idéologiques, en vue de ce résultat.

 

Nous nous présentons donc comme une tendance respectant les diverses origines idéologiques communistes individuelles, pour aboutir à la fusion- dépassement d’un courant, la Gauche du parti. Mais il faut savoir que chez les marxistes-révolutionnaires, le projet inverse existe aussi.

C’est le cas, quand une tendance se transforme en fraction, c’est-à-dire en un mini-parti. C’est au fond ce que la direction nationale reproche à la plate-forme n°2 de notre 37ème congrès animé par le groupe « La Riposte ». Ce groupe regroupé autour de son journal a été pendant très longtemps l’émanation d’une internationale (l’une des nombreuses) trotskiste. Autrement dit, sa présence au sein du PCF est bien le fruit d’un entrisme (entrisme qu’ils pratiquent de façon divers et variés au sein de nombreux partis ouvriers en Europe essentiellement sociaux-démocrates ou communistes). Il se trouve, aujourd’hui, que la section française de la T.M.I (Tendance Marxiste Internationale) a explosé en deux groupes, la Riposte et Révolution, Le premier continuant de se réclamer exclusivement du PCF et ne se revendiquant plus de la T.M.I. Le second préférant retrouver son indépendance et ne plus pratiquer l’entrisme (c’est ce qu’ils disent, mais j’ai croisé un militant de « Révo. » se réclamant toujours du PCF et ayant voté pour la plate-forme 2 (donc pour la proposition de la Riposte), ce qui indique qu’il faut prendre tout cela avec des pincettes).

 

Notre désir de regrouper toute la gauche du PCF y compris celle qui est sortie, dans l’unité et non dans l’exclusivité, nous conduit à considérer que le redressement idéologique précède le redressement organisationnel.

 

C’est en ce sens que nous sommes membres de la plate-forme (F.V.R) du PCF et que nous nous inscrivons dans le projet des « Assises du Communisme » qui a la particularité de regrouper des organisations, qui même si elles sont des fractions, ne se pensent pas « parti » en petit.

 

Ce sont des pôles (Pôle de la Renaissance Communiste en France), des cercles (Rassemblement des Cercles Communistes), des plates- Formes (F.V.R PCF) ou des regroupements de communistes inscrits dans le mouvement syndical et social (Rouges Vifs), le Parti, celui que nous appelons de nos vœux reste donc à construire ou à reconstruire. Et il ne viendra pas sans un effort sérieux sur le bilan du « socialisme ayant réellement existé » et sans l’analyse argumentée de ce qui a conduit à la droitisation du Mouvement Communiste International dont notre propre parti.

 

En ce sens, nous estimons que le raidissement absurde de plates-formes comme « Vive le PCF » ou de fractions sorties comme « Communiste(s) » sont totalement contre-productives, l’un s’affirmant comme « le » courant interne orthodoxe du PCF, l’autre comme « le » parti  communiste reconstruit. La seule explication valable à l’attitude de ces 2 organisations, dans leur raidissement organisationnel, tient à leur faiblesse idéologique.

[Et ce qui devait se produire c’est produit, après avoir annoncé à corps et à cris la « fusion - dépassement » du groupe Communiste(s) et de l’URCF, l’URCF a repris ses billes, face à une organisation plus dogmatique que programmatique. On peut reprocher beaucoup de chose à l’URCF, mais pas celle d’avoir longuement réfléchi à pourquoi ils souhaitaient être et rester staliniens. Ils n’ont donc nul besoin de surjouer sur la question, en termes de caporalisation d’attitude ou d’organisation].

 

Lire Staline, pour un léniniste, c’est quoi :

 

C’est donc en marxiste et en léniniste et pas en marxiste-léniniste, pour notre sensibilité, qu’il convient aujourd’hui de lire Staline.

 

Rappel : être Marxiste - Léniniste c’est affirmer que l’histoire du mouvement communiste forme un bloc idéologique et programmatique qui va d’Octobre à la chute de l’URSS. Bloc qui contient un âge d’or, la période de direction sous Staline. Nous affirmons qu’il est mensonger d’affirmer que Lénine puisse être considéré comme marxiste-léniniste, puisque précisément ce qui constitue le cœur du marxisme-léninisme se construit contre toute une fraction du mouvement communiste qui a partagé le pouvoir avec Lénine dans une direction collégiale et donc contre toute une partie réelle et concrète de la vie et de l’œuvre de Lénine. (Zinoviev, Kamenev, Trotski, Kollontaï, Boukharine, etc.) Lénine a toujours respecté ces militants et il a discuté avec eux, leur reconnaissant le droit d’exercer de hautes responsabilités dans l’appareil d’Etat. Seul Staline s’est opposé à eux, jusqu’à les faire assassiner.

 

Staline et le stalinisme :

 

Y a-t-il un lien direct entre la politique de Staline et sa représentation du monde, nous considérons que oui. Mais la spécificité de l’auteur de cette article est qu’il ne s’inscrit pas dans une lecture trotskiste ou trotskisante de la crise du stalinisme, mais dans celle de la gauche léniniste qui articule critique du procès de travail et du procès de production chez Lénine et sa déformation par Staline (Critique présente dans des courants aussi divers que la Gauche Communiste (Historique), l’Opposition Ouvrière Russe, la gauche révolutionnaire « Maoïste »).

 

A la différence de Rosa Luxemburg et de Trotski qui présentent deux critiques et contre- stratégies au modèle léniniste, Staline lui s’inscrit dans le pur référentiel léniniste qu’il déforme. Si Staline lit Marx, il lit surtout Lénine et la grande difficulté du Mouvement Communiste International a été de voir en quoi, il le déformait.

 

Luxemburg et Trotski affirment discuter d’égal à égal avec Lénine, au contraire Staline prétend être le meilleur serviteur de ce qu’il certifie être la pensée de Lénine.

 

En ce sens il devient l’incarnation de « l’interprétation », le pédagogue d’une dialectique interne à l’œuvre de Lénine dont-il s’agit d’expliciter le contenu. Trotski prend Staline pour un homme politique et un théoricien médiocre, il se trompe profondément. Staline est tout sauf un imbécile, il comprend très vite que l’esprit d’une pensée et sa force, tiennent dans la capacité de ceux qui s’en revendiquent à la faire vivre, autrement dit celui qui tient le parti, tient la production de son idéologie et donc les conditions de sa mise en œuvre. Il va s’inspirer de ce qu’il connait le mieux, l’histoire des ordres religieux, pour en reproduire le modèle pédagogique et didactique. La bible et ses différents livres sont choses difficiles d’accès, les milieux populaires ont besoin qu’on leur explique, la hiérarchie chrétienne crée les bréviaires, les missels et met en œuvre une catéchèse etc. etc. Staline va procéder de même, les milieux populaires ne comprennent pas pourquoi les responsables d’Octobre s’affrontent. Confrontés à de brillants orateurs, ils se sentent contraints d’approuver le dernier qui parle à la tribune. Ils ont le sentiment que le débat mais aussi la vie du parti leur échappent. Ce qu’ils veulent c’est qu’on leur explique simplement pour qu’ils puissent juger et surtout être rassurés dans une période où ils aspirent à l’apaisement et à la stabilité de leur environnement. Staline le sait, Trotski veut la poursuite du processus révolutionnaire, voire une révolution mondiale. Staline au contraire affirme que la Russie à tout pour commencer la construction d’une nouvelle société et qu’on n’a pas à attendre voire à maintenir une mobilisation révolutionnaire pour le reste du monde dont on ne sait quand il se décidera à franchir le pas.

 

Cet appel à la stabilisation est ce qui constitue le cœur du centrisme stalinien (critique revendiquée par l’ensemble des gauches), politiquement le centrisme se traduit par le maintien traditionnel des formes d’expressions des sociétés. L’Etat-Nation soviétique à la même division institutionnelle que les Etats bourgeois, un fonctionnariat, une armée permanente, des frontières etc. Il maintient une hiérarchie d’encadrement, même si les milieux populaires ont voix au chapitre, la division capitaliste du travail n’est pas remise en cause, seule sa forme juridique change, de caractère essentiellement privée, elle devient publique.

 

Le modèle Stalinien reprend les fondamentaux du social-démocratisme qu’il fait vivre non pas en rapport au marché mais en rapport au pouvoir d’Etat. Les forces productives y acquièrent un caractère d’absolutisation (progrès des sciences, qualification classique d’une main d’œuvre soumise à la même division technique [ manœuvres, O.S, O.Q, agents de maitrise, techniciens, ingénieurs, cadres dirigeants, directeur unique], la fonction publique s’hypertrophie et il n’y a nullement déclin de l’appareil d’Etat, comme la doctrine communiste le recommande pour faire disparaître les conditions de production de la bourgeoisie. Autrement dit, si l’ancienne bourgeoisie liée au capitalisme privée disparaît, une nouvelle apparaît liée au non bouleversement des conditions techniques de production et à leur forme juridique publique. Au sens plein du terme, il s’agit d’un capitalisme d’Etat.

 

Toute la rhétorique de Staline va donc tourner autour de l’idée que puisqu’elle change d’expression et de forme juridique, la bourgeoisie change de nature, voire même disparaît.

L’Etat soviétique n’est plus un Etat de classes et de lutte des classes, il devient une pure structure administrative où n’existe plus que des catégories sociales non-antagonistes (Voire sur le site D.C.O les textes « Lire Staline partie 1 et 2 » et lire Staline partie « 3 ») en ce sens Staline donne corps au mythe de « L’Etat Ouvrier », qui d’un stricte point de vue communiste et marxiste est une aberration totale, car une telle représentation n’est possible qu’à la condition d’escamoter les catégories sociales bourgeoises qui le font vivre.

 

 

Dans cette fin des années 30, Staline produit donc une œuvre où à la fois il escamote la réalité de classe de l’U.R.S.S, qu’il affirme comme une société pacifiée, où la lutte des classes a disparu et où dans le même temps il fait se déchaîner contre l’opposition, l’expression étatique de la répression, introduisant une double déviation dans la conduite de cette lutte.

 

La première c’est que la lutte de classe n’est pas clairement portée par la classe ouvrière et les catégories populaires, il n’y a pas d’échanges, pas d’expression libre, pas de droit de grèves ou de manifestations etc. C’est l’Etat via ses catégories de fonctionnaires (juges, policiers, militaires, services de renseignement) qui sont chargés d’appliquer des directives répressives, or nous l’avons vu dans le sociologisme stalinien, ces personnels n’existent pas, il ne reconnait que 3 catégories : les intellectuels, les paysans, les ouvriers (voir son texte : « Sur le projet de constitution de l’URSS » 1936 ) donc l’Etat dans la représentation stalinienne est un trou noir sociologique, qui nourrit le mythe d’un possible Etat Ouvrier .

 

Mais qui plus est, des directives répressives contre qui ?

 

Conformément à sa représentation qui fait de la réalité soviétique un pur produit du social-démocratisme (caractère public de la propriété, caractère keynésien des investissements, caractère redistributif de sa nature sociale), il assoit l’idéal bourgeois républicain d’une société pacifiée et réconciliée avec elle-même, où l’Etat n’est plus l’expression des contradictions de classe, mais le pur instrument technique d’un lien direct entre le citoyen et ses représentants (ce qui est la vision clairement exprimée de l’idéal bourgeois, qui nie que l’Etat soit l’expression des contradictions de classe) .

 

Dans cette représentation du monde, l’opposition de gauche et Trotski en particulier ne peuvent plus être les porteurs d’intérêts de classes ou de fractions de classes, mais seulement la queue de traîne de celles-ci, du temps où elles existaient encore. Pis, comme les classes n’existent plus, les oppositionnels ne sont plus le reflet de la société soviétique, mais purement et simplement les représentants d’intérêts extérieurs, les représentants de contradictions venues de l’étranger, c’est donc au NKVD de s’en occuper.

 

« L’homme le capital le plus précieux » 1934

 

Dans ce recueil ( où l’on voit dès le titre que Staline ne manque pas d’humour compte-tenu de la façon dont il a traité nombre d’hommes concrets, on remarquera de plus, que considérer l’homme comme du capital est précisément une approche bourgeoise qui caractérise la ressource humaine comme « Capital »  Humain, les cours d’économie des universités bourgeoises actuelles sont pleins de cette référence).

 

Il y a déjà un tréfonds de thèses à caractère scientiste où via la toute puissance des forces productives dans l’histoire se maintient une prédominance idéologique des sciences et des techniques et son cortège de survalorisation du rôle des cadres ( voir son texte : « discours aux élèves de l’armée rouge (1935) » et son mot d’ordre « Les cadres décident de tout » qui doit faire naturellement écho à l’autre thèse préalablement posée « La technique décide de tout ». - Il faut donc, nous dit Staline, pour animer cette technique produire les cadres qui vont avec).

Il faut dit Staline apprécier les « hommes » pour les placer dans les postes qui leur conviennent le mieux. Nous avons commencé par créer les machines, la technique, il faut maintenant les hommes qui soient capables de s’approprier cette technique. « Discours aux métallurgistes de décembre 1934 », il faut surtout produire les cadres qui vont avec, pour installer la division du travail qui en découle.

 

Quel type de machine et quel type de technique ont été préalablement implantées ? Staline ne répond pas, mais il le sous-entend, on a du fait de l’urgence révolutionnaire et du sous-développement de l’URSS, copié les machines de l’ancien système capitaliste russe ou du nouveau système capitaliste occidental. Forcément ce type de machine implique un type de division du travail, Staline n’a aucun mot, aucune réflexion, sur le type de déviation de droite que cela introduit dans l’avancé du socialisme. Il n’est question que de « l’homme » et de sa capacité à s’accaparer la technique. Cette dernière est considérée comme « neutre », d’autant plus neutre qu’il y a urgence à sortir du sous- développement. Il produit donc une anthropologie « humaniste » qui relie l’homme à une technique, comme si d’une part, c’était bien l’ « Homme Nouveau » qui l’avait directement engendré et d’autre part comme si cette technique préalable, dont il reconnait lui-même, qu’elle est issue de l’ancien mode de production, était sans conséquence sur l’ « Homme Nouveau » qu’on entend obtenir. Sa survalorisation du « cadre » ses fonctions, ses missions, en est directement issue. Le cadre est le produit de la division capitaliste du travail, nous dit Marx. Non, le cadre est le produit de la « pure » division technique, répond Staline.

 

« Pour une formation bolchévik » 1937

 

Alors même qu’il nie dès 1936 dans son « projet de constitution de l’URSS » que l’espace soviétique puisse encore être une société de classes, dès 1937 avec ce texte, il fait la preuve du contraire. Il y a des traîtres dans le parti nous dit Staline, des espions, notamment ceux du bloc « zinoviévo- trotskiste », il reste aussi selon lui des agents du tsarisme, de la bourgeoisie, dans les plus hautes instances de la direction de l’Etat et de l’économie soviétique. Comment une telle réalité peut-elle exister alors qu’un an plus tôt, il avait affirmé que toute lutte des classes avait cessé parce que toutes les contradictions de classe avaient disparu ?

 

Comment de telles fractions politiques peuvent-elles se retrouver aux plus hautes instances, alors que le parti ne cesse d’épurer et surtout comment la société soviétique peut-elle les produire, alors que les mécanismes pratiques qui produisent les classes ont, dans la représentation stalinienne de la réalité soviétique, cessé d’exister. Staline développe alors une vision paroxysmique de la paranoïa de l’encerclement. Les Etats Capitalistes nous entourent dit-il et ils veulent nous abattre. Il faut donc défendre « son » Etat et le personnel qui lui est afférent, car ceux qui trahissent ou sont supposés trahir, ne représentent que les intérêts du parti de l’étranger. « Le trotskisme de nos jours n’est pas un courant politique de la classe ouvrière, mais une bande sans principes et sans idéologie de saboteurs, d’agents de diversion et de renseignements, d’espions, d’assassins, une bande d’ennemis jurés de la classe ouvrière, une bande à la solde des services d’espionnage des Etats étrangers » p 31.

 

Tout l’article porte sur l’appel à la reprise en main idéologique des cadres du parti et sur la nécessité de continuer dans augmenter le nombre, car il n’y en a pas assez, tout en renforçant leur attachement idéologique au groupe qui dirige l’URSS. Le groupe, les cadres, doivent se sentir solidaires du système, le défendre et traquer le traître potentiel.

 

Il est vrai que Staline terrorise la caste dirigeante et donc qu’il s’en prend à la « bureaucratie » mais pas pour s’attaquer aux conditions de sa production et de sa reproduction, mais pour au contraire leur rappeler qu’ils doivent se protéger les uns les autres, être objectivement solidaires. C’est pourquoi la légende qu’essaient de forger les tenants actuels d’un néo-stalinisme, sur un Staline meilleur combattant de la bureaucratie n’est qu’une habile tentative une nouvelle fois, de sauver et de réhabiliter le personnage.

 

Staline ne s’en prend jamais, au contraire, aux conditions matérielles qui rendent possible l’existence des classes dans l’espace soviétique. Il ne cesse d’appeler à l’élargissement de la base matérielle de la création de l’encadrement, du respect des directions et du caractère mimétique de la pyramide hiérarchique soviétique avec la division fordienne et taylorienne de l’espace impérialiste. Il n’appelle pas au déclin de l’appareil d’Etat mais à son explosion démographique.

 

Toute son œuvre porte donc sur la contradiction, qu’il ne peut stabiliser, de produire par imposition d’une technologie née de l’espace capitaliste, un nouvel encadrement de nature publique pour constituer une nouvelle « classe » dirigeante. Classe qu’il veut par une pédagogie comportementaliste d’« élevage-dressage », contraindre à s’accepter comme telle, dans une situation qui ne tient plus du capitalisme privé mais qui cherche à faire barrage à l’instauration du collectivisme, à l’extinction-disparition de l’Etat. Cet entre-deux, qui prend la forme de la gestion et de l’expression juridique de forme publique, correspond à sa volonté de stabiliser le stade historique du capitalisme d’Etat, ce n’est qu’en niant la lutte des classes à l’espace interne soviétique et en externalisant ses contradictions « les agents de l’étranger », qu’il peut défendre les intérêts de la bourgeoisie publique (la bureaucratie) et la justifier comme classe dirigeante face aux masses soviétiques.

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