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Histoire d’une légende noire,

relire Zinoviev aujourd’hui     (partie 2)

Chez Trotski, c’est l’inverse, le communisme n’est qu’un moment particulier du socialisme, une tentative toujours soumise à aléa, c’est pourquoi tous ses partisans n’hésitent pas à faire aujourd’hui retour au socialisme (i.e : au social-démocratisme), parce que si « l’offensive » communiste a échoué, il faut savoir reculer, et il convient de défendre les fondements historiques du parti ouvrier.

 

Cette déviation qui n’avait qu’un effet secondaire au moment de la fondation du mouvement communiste devient aujourd’hui centrale. Nous verrons que Zinoviev a une solution à cette crise, qu’il a l’honnêteté de mettre au centre de sa problématique : c’est la bolchévisation. Pour lui « la dictature du prolétariat »  exercice étatique, si on veut qu’elle devienne « hégémonie de la classe ouvrière » presque immédiatement, ne peut conduire qu’à une seule solution, l’Etat doit être tenu par un parti unique et le parti unique doit être composé essentiellement d’abord, puis exclusivement ensuite, d’ouvriers.  Le parti est l’avant-garde du prolétariat, par sa sociologie même, qui doit tendre à une source unique catégorielle, et dans ce cas Classe, Parti et Etat peuvent s’interpénétrer et se confondre.

 

Résumons les extraits du dessus. Le socialisme première phase de la révolution, est au sens de Lénine lui-même, un « Etat bourgeois, sans bourgeoisie », comment est-ce possible ? C’est nous dit Lénine, que non seulement l’Etat et son administration classique, les fonctionnaires, continue d’exister, mais que l’on doit aussi continuer d’y appliquer une politique bourgeoise de calcul (affectation, répartition, contrôle). Mais alors en quoi l’Etat peut- il être « ouvrier » ? Il l’est parce que ce qui exerce une violence réelle ou symbolique : la dictature du prolétariat, c’est le militant ouvrier en arme (ou historiquement, le soldat conscrit, issu de la classe ouvrière (voire de la classe paysanne)) et rassemblé en Soviets. Mais alors, qui sont ceux qui l’entourent et le conseillent dans cette politique de répression ? Les juges et les policiers, les militaires de carrière, tous les membres de l’administration, sans compter les permanents politiques etc. N’exercent-ils pas eux aussi de la violence symbolique, n’exercent-ils pas la « dictature du prolétariat » ?

Lénine nous dit que ce sont des fonctionnaires, des cadres ou employés, et c’est pourquoi « L’Etat » comme tout Etat est bourgeois. Mais c’est un Etat bourgeois sans « bourgeoisie », parce que la propriété n’est plus privée mais appartient à l’Etat Ouvrier, et que cet Etat « des soldats en armes » est plébéien, comme pouvoir violent en dernière instance. Pourtant ce ne sont pas ces soldats qui font fonctionner l’Etat dans toutes ses missions, les juridiques, les administratives et les sociales. Et y compris la majorité des administrations répressives, n’engendre pas des missions ouvrières au sens des professions qui s’y exercent, mais aussi au sens de la catégorie de travail exploité générant un salaire. C’est pourquoi cette question de : « l’Etat bourgeois sans « bourgeoisie » » est devenu intenable au cours de l’histoire. Même si Zinoviev est plus claire que Lénine sur cette question et offre un pas en avant par le modèle de résolution des contradictions qu’il propose.

 

Le modèle tel que Lénine l’a posé suppose d’emblé le double pouvoir, autrement dit un double Etat. Un nouvel Etat représentant la violence symbolique de la nouvelle classe dirigeante (le soldat d’origine ouvrière ou paysanne en arme) et l’ancien Etat constitué de fonctionnaires qui sont chargés d’appliquer et « mettre en musique », ce que la « violence » symbolique et idéologique de l’Etat « Ouvrier » impose. Or ce que l’histoire a prouvé c’est que l’Etat « Contre-pouvoir » n’a pas survécu à la victoire du stalinisme. La violence symbolique (des ex-actifs productifs (paysans ou ouvriers) devenus soldats par la guerre de 14-18) à été reprise par l’Etat classique « au nom » de la classe ouvrière, mais sans aucun ouvrier réel dans sa mise en œuvre. Et « L’Etat bourgeois sans « bourgeoisie » » est bien resté un pur Etat social-démocrate au sens de l’exercice effectif du socialisme, qui se contente d’ appliquer une justice d’affectation de répartition et de contrôle, donc qui reste bourgeois dans les statuts, rôles et fonctions, de ses membres.  Risquant par là même de s’opposer au passage au communisme, comme la période du stalinisme nous en a apporté la démonstration, et finissant en restauration du capitalisme privé comme est venue le conclure l’histoire de l’ancien bloc de l’Est.

 

Zinoviev qui dans toute la première partie de l’ouvrage, s’est opposé à Trotski, sur la question la révolution ; doit-elle être d’emblée internationale ou non ; s’oppose ensuite à Staline. Il ne peut y avoir dit-il, d’instauration « définitive » du socialisme, dans un seul pays. Ici, il entend par instauration définitive, l’instauration du communisme. Le communisme est un stade mondial. Le socialisme en ce qu’il est encore bourgeois, par le rapport étatiste qu’il entretient aux choses (fonctionnariat), à tendance, si on ne contrecarre pas ce phénomène, à redevenir capitalisme d’Etat. Car l’étatisation des moyens de production ne suffit pas, nous dit-il, si ceux-ci sont encore dirigés par une catégorie sociale, non-ouvrière, non- exploitée. Enfin, pour Zinoviev, le stade du communisme ne peut-être, au minimum, qu’un stade où plusieurs socialismes définitifs s’imposent dans une masse suffisante de pays.

 

Le chapitre s’intitule : « Le léninisme et la question de la victoire du socialisme dans un pays. », il insiste sur le rappel de Lénine que la révolution socialiste ne peut-être définitivement victorieuse que si d’autres pays sont passés à leur tour au socialisme.  Zinoviev de marteler :

« Lénine n’oubliait jamais que la victoire définitive de la révolution socialiste est impossible dans un seul pays. (Il rappelle des propos de Lénine sur cette question) ces thèses sont indiscutables, dit-il, Elles sont essentielles pour le léninisme. « Un seul pays peut commencer victorieusement la révolution socialiste. La révolution socialiste internationale peut remporter des victoires importantes dans un seul pays. Mais le socialisme ne peut vaincre définitivement dans un seul pays. » Et Zinoviev de redonner la définition contenue dans « l’A.B.C du Communisme » de Nicolas Boukharine ouvrage approuvé par la direction du parti. « La révolution communiste ne peut vaincre que comme révolution mondiale ».

 

Donc, nous sommes ici à nouveau confrontés à cette histoire de temporalité ce qui va jouer un rôle central dans la confrontation entre les courants du bolchévisme. Qu’appelle t’on « Socialisme » et qu’appelle t’on « Communisme ».

 

Zinoviev reprend la distinction classique qui considère que Le socialisme se divise en deux phases. La phase première ou phase de la dictature du prolétariat où la lutte des classes se déchaine et qui est essentiellement représentée par une intervention du double Etat et du parti qui conduisent la lutte des classes, à ce stade celle-ci présente un caractère antagoniste. Puis une seconde phase où l’ensemble des contradictions deviennent non- antagoniques et on assisterait là à une « administration des choses » entre catégories sociales devenues des partenaires sociaux, par homogénéisation. C’est ce second moment que l’on appelle « communisme ».

Pour obtenir un tel résultat, Zinoviev considère que la contradiction a une seule solution, il faut ouvriériser l’ensemble de la société, la paysannerie comme le fonctionnariat. Cette ouvriérisation sera renforcée par une discipline militaire, qui procèdera à des épurations régulières à caractère sociologique, via le parti, « Le parti se renforce en s’épurant » avait affirmé Lénine. On a parlé à propos du zinovievisme de discipline de caserne, particulièrement en France où son disciple Albert Treint, ancien officier de carrière, se distinguera particulièrement par son caractère sectaire dans la mise en œuvre de ce cours politique. Pourtant comme le rappel l’historienne Danielle Tartakowski dans son Ouvrage « Une brève histoire du PCF » écrit en 1982, le zinovievisme aura un effet réel sur le PCF, avant que Thorez ne remporte la victoire. Ses effectifs auront diminué des 3/4, mais ceux qui sont restés sont à plus de 60% des ouvriers.

 

Dans l’ouvrage de 1960 écrit sous la direction de Jacques Duclos, « Histoire du parti Communiste Français », qui est la version de l’histoire officielle donnée par le parti, c’est encore tout ce qui est retenu par les auteurs de cette période historique : « Treint était un dogmatique et un sectaire, il a imposé une discipline de caserne ». C’est à quoi, l’analyse du zinovievisme, se réduit pour le P.C.F, c’est une analyse similaire à celle des trotskistes, qui sur la toile internet aujourd’hui ont rédigé l’essentiel des textes qui lui sont consacrés, pour l’assassiner une seconde fois.  Cependant qu’eux, les trotskistes, le font au nom de la défense du socialisme et contre le cours sectaire que le zinovievisme a produit vis-à-vis du social-démocratisme. En effet le pouvoir n’étant plus à attendre de la gestion politique de l’Etat (Régions, départements, communes), mais de l’exercice réel du pouvoir politique dans les lieux de production, Zinoviev et sa tendance internationale exige le passage des cellules et sections de villes, à celles des entreprises et usines qui seules peuvent penser la mise en œuvre d’un contre-pouvoir de forme conseilliste, les fameux « soviets ». Il n’est donc plus question de rechercher l’alliance avec les directions socialistes, qui ne peuvent que nous faire stagner dans un Etat bourgeois, même quand celui-ci cherche une issue socialiste.  Pour le zinovievisme, seul le renforcement du poids ouvrier, peut conduire au renforcement et à la mise en œuvre d’un Etat Ouvrier en vu de son déclin dans la société communiste.

 

On se souvient que Maurice Thorez plus-tard remportera, le conflit interne avec son mot d’ordre au début des années 30 : « Pas de mannequins dans le parti, que les bouches s’ouvrent ! » qui finira par l’emporter après la période du « Classe contre Classe » entre 27-29, qui avait succédé à la « bolchévisation » (24-27). Là aussi, dans l’Histoire officielle qu’on nous a présenté du parti, c’est une réponse de nature psychologique, mais pas politique. On n’a pas d’explication politique du comment le thorézisme, expression française du stalinisme, a vaincu le zinovievisme, incarné par Albert Treint et Suzanne Girault, puis le « classe contre classe » s’appuyant sur le 6ème Congrès de l’I.C et mis en œuvre principalement par Pierre Sémard et Barbé et Célor. Ce n’est qu’avec le mot d’ordre de « Front Populaire », le retour à une vision interclassiste de la politique et donc à une politique d’union et de recherche d’unité avec la social-démocratie, qu’un vrai nouveau cours politique est imposé, cours politique qui n’a jamais cessé de nous gouverner depuis.

 

C’est dans son Ouvrage « Les perspectives internationales et la bolchévisation » que Zinoviev développe le mieux son point de vue. Responsable de l’Internationale Communiste, il constate une stabilisation du capitalisme au milieu des années 20 et donc un recul des perspectives révolutionnaires à l’Ouest. Cependant qu’il réfute une possible diminution des antagonismes inter-impérialistes et le retour de la thèse kauskiste d’un super-impérialisme capable d’endiguer les contradictions. Il souligne, dans la lignée de Lénine, le passage à l’Est des contradictions révolutionnaires, particulièrement en Chine. Il dresse le bilan des tentatives révolutionnaires en Allemagne ou le volontarisme a fait des dégâts au tout début des années 20. En ces années 25-26, le capitalisme connaît une stabilisation dont l’Internationale doit tenir compte. Cependant il n’accorde pas à cette stabilisation, l’importance que l’aile droite du mouvement communiste veut lui prêter, il reproche à Radek sa lecture du Front-Unique comme un partenariat avec la social-démocratie, il pense au contraire que l’on doit continuer de gagner les travailleurs socialistes en particulier dans les syndicats, à la cause unitaire mais contre les directions socialistes qui elles sont passées dans le camp bourgeois.

 

Il développe alors ce qu’est pour lui la bolchévisation, l’application non dogmatique du léninisme en partant du point de vue ouvrier. Il faut tenir compte de l’unité d’action ouvrier-paysan, nous dit-il, tout en ayant en tête que l’avenir du paysan est dans son ouvriérisation ; un ouvrier de la terre, à la tête d’une grande entreprise agricole. Il faut en période de reflux ou de stagnation, renforcer l’esprit léniniste des militants et non se laisser porter par la droitisation spontanée qu’impose le temps historique. Comme le reflux fait pencher les anciens cadres vers leur passé historique social-démocrate, il ne faut pas hésiter à renouveler les directions avec de jeunes camarades. Il convient surtout de se souvenir que le léninisme est le marxisme de notre temps et qu’il faut combattre ceux qui cherchent à opposer le marxisme au léninisme. La bolchévisation a donc pour objectif de lutter contre la droitisation qui refait surface avec la stabilisation du capitalisme, mais sans tomber dans le volontarisme de gauche et sa politique d’offensive à n’importe quel prix.

Le V congrès de l’internationale communiste (1924) est donc pour Zinoviev un congrès contre une lecture de droite du Front-Unique Ouvrier. Lecture qui anticipera la mise en œuvre du Front-Populaire comme entente, à parité, entre communistes et socialistes, s’ouvrant sur les républicains de gauche ce qui est effectivement une droitisation de la ligne communiste.

 

C’est aussi une lutte contre le cours gauchiste qui ne manque pas d’apparaître pendant toute phase de stabilisation et les tendances aventuristes. La bolchévisation léniniste ne fait pas fi de l’histoire du mouvement ouvrier, au contraire elle l’étudie comme un immense mouvement en avant pour aboutir au marxisme de l’époque de l’impérialisme, au léninisme. Elle dénonce le luxemburgisme, dans son penchant à un pur spontanéisme ouvriériste, mais aussi les communistes de gauche germano-hollandais comme les pendants des tendances social-démocrates des pays occidentaux, dans l’absolutisation de leur opposition. Eux aussi partent des Soviets, mais dans la mesure où ils ne distinguent pas, la phase socialiste et la phase communiste, ils veulent implanter le communisme immédiatement et refuse l’idée d’un double-pouvoir. Il n’est pas question de maintenir l’ancien Etat à côté du nouveau, il faut le faire disparaître de suite et non le faire s’éteindre sur une longue période.

 

 Enfin elle analyse le trotskisme comme un social-démocratisme de gauche, empruntant à la social-démocratie son analyse et aux bolchéviks son activisme.

 

Pour finir, Zinoviev rappelle le pourquoi de la systématisation de la cellule d’entreprise. Pour lui, la section de ville issue de l’ère social-démocrate ne convient pas à la stratégie de bolchévisation de l’esprit léniniste, qui veut que ce soit la classe ouvrière qui conduise la révolution. Le double pouvoir, par quoi s’exerce la dictature effective du prolétariat, oblige à la mise en œuvre de conseils ouvriers en armes qui encadre l’Etat bourgeois avant de le faire disparaître.

 

Rapporté aux enjeux qui nous concernent aujourd’hui, le bilan du « socialisme ayant réellement existé », on voit que le modèle zinoviéviste, ne passe pas par la nécessité immédiate du caractère international de la révolution. En accord avec Lénine, il est partisan de la théorie du maillon faible et du développement inégal. Les pays suivent leurs tendances internes et rythmes propres, ce que traduit chez lui l’opposition socialisme simple / socialisme définitif. Le socialisme simple dans un seul pays peut donc exister, mais pas le socialisme définitif (i.e : le communisme). Le socialisme simple, peut maintenir la structure de double pouvoir et le corps des fonctionnaires, parce que par exemple, dans une situation de socialisme simple, c’est-à-dire entouré d’Etats capitalistes, on a besoin de douaniers, on a besoin de fonctionnaires des ministères des affaires étrangères ou des finances (contrôle des changes) etc.

 

Par contre, Zinoviev ne nous explique pas, comment dans son modèle où se confondent « dictature du prolétariat » et « hégémonie de la classe ouvrière », Ce qui sous-entend que l’on espère qu’en même l’instauration du communisme sur une courte période, la violence du soldat en arme, peut ouvriériser les missions remplies par des agents du second Etat qui lui doit s’éteindre pour disparaître. On comprend que le parti et son appareil répressif est totalement ouvriérisé, par implantation unique dans l’entreprise, et par une épuration régulière : la bolchévisation, mais le fonctionnariat classique, comment l’ouvriérise - t’il ? Sinon en se cantonnant à une politique de mobilité sociale (turn-over des postes et des fonctions), il n’y a là aucune explication.

D’autre part ce soldat en arme, ne concentre pas toutes les missions permanentes d’une violence symbolique légitime. Comment rend-on : juge, avocat, policier etc. et même un militaire, un « ouvrier », ceci sur une période courte, telle que les premiers révolutionnaires communistes l’avaient envisagée en confondant « Dictature du Prolétariat » et « Hégémonie de la classe ouvrière » ? Là aussi concernant, la mise en exercice réelle, de la fin de la division technique et de la division sociale du travail, Zinoviev ne donne aucune de piste.

 

L’histoire sur plus d’un siècle du « socialisme ayant réellement existé », prouve qu’il doit exister des étapes dans le processus, et même plus, qu’il peut y avoir de sérieux problèmes si on oublie leurs nécessités. C’est pourquoi, face à une histoire théorique comme pratique qui les a mal perçues, j’estime légitime la temporalité que j’ai dégagé de cette histoire.

 

On ne peut confondre prolétariat et classe ouvrière, de même qu’on ne peut confondre Capitalistes et bourgeoisie. Il faut donc redonner une vision dialectique du processus, pour cela il convient de rappeler que le premier moment de la révolution a bien pour fonction de résoudre la contradiction Prolétariat/ Capitaliste et donc que ce moment pose la question de l’abolition de la propriété privée des moyens de production, autre que la force de travail.

 

Autrement dit, qu’il convient d’instaurer une phase de propriété publique, qui n’est pas l’antinomie absolue de la propriété privée, mais une phase particulière de celle-ci, car elle incorpore déjà une part essentielle de socialisation des moyens de production exceptée la force de travail. Ce qui fait que contrairement à ce que dit Zinoviev, plus haut ci-dessus, que la propriété commune n’est pas le fruit du socialisme simple, mais résulte du socialisme définitif ou communisme, car il n’y a qu’à ce stade que la force de travail cesse d’être gérée individuellement par le droit privée pour devenir une force collective. Sous le socialisme simple, la force de travail

continue, elle, d’être de nature bourgeoise comme le reconnait Lénine lui-même, puisque pour vendre, au sens marxiste du terme, il faut qu’il y ait égalité de droit des coéchangistes, autrement dit que tout vendeur, se retrouve « bourgeois » au sens même de Marx, dans l’échange et par l’échange marchand. Mais pourquoi y a-t-il obligation de maintenir la loi de la valeur en économie de transition ? Précisément, parce qu’être payé, ne signifie pas être salarié. C’est bien parce que via l’impôt les agents administratifs de l’Etat touchent un revenu et pas un salaire, qu’ils obligent toute la société à continuer de connaître la loi de la valeur et la marchandisation des rapports économiques.

 

Ceci m’a donc amené à une deuxième rectification que cette contradiction oblige à prendre en compte. Le modèle de Lénine commet un contre-sens en cherchant à transformer tout agent économique en fonctionnaire, pour obtenir une homogénéisation du sujet économique qu’il veut produire. En ne concédant pas qu’il doit, sous le socialisme, y avoir encore une lutte des classes entre bourgeoisie et classe ouvrière et que cette lutte à bien un caractère antagoniste, alors que tous les théoriciens du socialisme penchent plutôt pour son caractère non-antagoniste (sauf Mao). A mes yeux, ils se sont rendus impuissants à théoriser la contre-révolution qui a vu la bourgeoisie d’Etat préférée la restauration du capitalisme privé, plutôt que l’avancée vers le communisme.

 

Le modèle de Lénine et de ses camarades réduit, de fait, la révolution socialiste à la dictature du prolétariat, c’est-à-dire au changement du statut de propriété des moyens de production, mais comme, il refuse de reconnaître à la classe ouvrière le droit de devenir classe dominante, classe régnante, et donc d’instaurer « l’hégémonie de la classe ouvrière ». Ceci autrement qu’à travers le parti, parti unique, devenant appareil d’Etat à travers la désignation de certains de ses membres pour occuper les missions étatiques, l’activité économique et la nature du dégagement du surplus y devient confuse et l’existence d’une loi de la valeur incompréhensible. L’activité du salarié exploité est ramenée au niveau du payé fonctionnaire sous prétexte que les deux produisent des biens et des services qui en nature gonfle « la richesse » produite. Et on aboutit à un modèle où on pense avoir atteint le communisme, sous prétexte que l’ensemble des actifs se retrouvent à « administrer » les choses, les répartir.

 

C’est bien cette confusion que traduit le propos de Lénine en déclarant ci-dessus : « Tous les citoyens se transforment en employés salariés de l’Etat ». Or, soit ce sont des employés, des fonctionnaires, et ils ne touchent pas de salaire, mais des traitements, issus des impôts. Soit ils touchent des salaires, ce qui en fait des « ouvriers » où « travailleurs exploités », et pour qu’ils soient « productifs », il faut que le produit de leur activité soit vendu sur un marché, ce qui n’est jamais le cas de l’activité des fonctionnaires.

 

Et c’est comme cela d’ailleurs que Zinoviev nous rappelle la nature du socialisme. Lénine parle « d’Etat bourgeois, sans bourgeoisie » car il faut encore « administrer et répartir les choses » au moyen de « l’enregistrement et le contrôle » et il dit « c’est ce qu’une majorité de communistes ne comprend pas. » En fait les communistes de gauche, ne comprennent pas Lénine, parce que Lénine comme Zinoviev, posent mal la contradiction.

 

Ce que Lénine aurait du dire c’est que la nouvelle situation entraine l’existence « d’un Etat bourgeois, sans capitalistes », en effet par la suppression de la propriété privée on obtient la production d’une catégorie sociale homogène de non-propriétaires, mais pas de non-bourgeois, car la bourgeoisie n’existe pas seulement dans le contrôle et la répartition, mais aussi dans la production, la façon dont la division bourgeoise du travail organise la production. Division du travail qu’aussi bien Lénine que Staline neutralisent en encensant le tayloro-fordisme.

 

Dans cette définition que donne Lénine, il n’est pas question de production mais seulement de répartition. C’est une vision purement social-démocrate qui considère qu’avec la nationalisation de la propriété on a fait l’essentiel du travail et qu’il n’y a plus d’antagonisme dans la production, sous prétexte qu’un pouvoir « prolétarien » surveille la répartition. C’est pourquoi, ne pas laisser la classe ouvrière mener son dernier combat contre la bourgeoisie incrustée dans la ligne hiérarchique et dans la ligne administrative, alors que celle-ci a naturellement tendance à transformer, pour se reproduire, la forme publique en capitalisme d’Etat, conduit cette dernière, tôt ou tard, à souhaiter la restauration du capitalisme privé.

 

La deuxième phase du socialisme, dit socialisme définitif ou communisme, doit donc consister en la production d’une classe unique, prolétarienne et ouvrière, auprès de laquelle on aura fait descendre le pouvoir politique et administratif qu’elle exercera par intermittence et délégation tout au long de son cycle de vie professionnel comme personnel.

 

La tâche d’un parti communiste n’est pas de s’emparer du pouvoir politique d’Etat, mais de le donner à une classe homogène, en devenir-être, devenant communiste par l’utilisation de son idéologie de classe : le marxisme. Ceci afin de faire s’éteindre les institutions et la topique hiérarchique (l’Etat) qu’elles génèrent, au profit d’une nation homogène sans Etat.

 

A cette condition, la marchandisation des relations économiques n’a plus besoin de disparaître. Le profit (expression monétaire du surplus) qui existe depuis les sociétés antiques, n’a plus une base issue de la plus-value par exploitation, un stade capitalisme, puisqu’en se généralisant l’exploitation fait disparaître les revenus qui sont la face opposée et antagoniste des salaires.

Dans la société communiste, marchande, le profit n’exprime plus que le surcroît de valeur engendré par tous et permettant l’élargissement de la base économique. La bureaucratie qui n’est pas le résultat psychologique d’un comportement humain, mais l’effet structurel de l’existence d’une topique institutionnelle et bourgeoise, peut alors s’éteindre pour disparaître.

 

Il manque à toute ma démonstration, comme il a manqué à l’URSS depuis la fin réelle des soviets au profit d’un pur parlementarisme, une expression moderne de discernement d’un possible double-pouvoir. Ce que nous appelions hier « Soviets » ou « Conseils », quelle forme de structure provisoire peut aujourd’hui porter cette dualité nécessaire à l’extinction de l’Etat bourgeois traditionnel ? Si le pouvoir de ceux qui veulent le voir disparaître dans sa forme capitaliste et bourgeoise, ne trouve pas à s’incarner dans un « Etat-Provisoire » alors c’est dans le seul Etat bourgeois que nous sommes appelés à nous battre et à ses conditions. La grande avancée que nous a fait faire la théorie de l’assujettissement des individus (sociologie de l’habitus de Bourdieu, effet idéologique des appareils d’Etat d’Althusser, Socio-psychologie ou socio-clinique de De Gaulejac, etc.) C’est qu’il y a un effet structurel des institutions sur ceux qui les habitent. Si nous voulons produire un autre type d’individu, il nous faut un autre type d’individuation et donc d’institution. C’est ce qui manque véritablement dans le projet du P.C.F actuel, le prolétariat comme la classe ouvrière n’ont aucun moyen de s’exercer à une gestion « autre », s’ils n’ont plus aucune expérience du double- pouvoir, l’idée d’autogestion au moment du 22ème congrès avait attiré l’attention sur cette question concernant les institutions dont les entreprises.

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Brève biographie de Grégori Zinoviev :

 

Responsable du parti à Saint-Petersburg, qui est une grosse section du parti russe, il représente un courant important du bolchévisme. Il joue un rôle fondamental au niveau international. Il est nommé président de l’International Communiste créée en 1919, il le sera jusqu’en 1926.

Il est le partisan des politiques d’offensive insurrectionnelle notamment en Europe, en Allemagne (1923) et en Italie, Hongrie, en 1919. On lui en tient rigueur, même quand il juge que ses insurrections ont été conduites de façon gauchiste. Il est chargé de la ligne des 21 conditions mais aussi, lors du 5ème Congrès de l’I.C (1924) de la bolchévisation.

 

Il participe aux différents regroupements qui oppose les bolchéviks entre-eux :

- 12ème congrès du PC 1923 :- « Première Troïka » : Zinoviev, Kamenev, Staline (soutenu par Boukharine) contre Trotski, qui vient de publier « court nouveau » et qui a constitué l’Opposition de Gauche (1923-1927) formée de trotskiste et d’anciens de l’Opposition Ouvrière*, elle dénonce la bureaucratisation et s’oppose à la première troïka.

- 14ème congrès du PC 1925 : - « Troïka des purs » : Zinoviev, Kamenev, Trotski contre Staline et Boukharine, ils sont opposés à la NEP et partisans du socialisme dans plusieurs pays.

 

Occupant divers postes subalternes dès qu’il est éliminé en 26 de l’internationale, il finit en prison, d’où il est extrait en 1936 pour le premier grand procès de masse des années 36-37, le complot « Zinovievo-Trotskiste », il est exécuté comme les autres, pour la majorité avec toutes leurs familles.

 

* L’opposition ouvrière : formée en 1920-1921 (10ème congrès) réunit une partie des Communistes de Gauche des années 1918-1920 (dont faisait partie Boukharine) à des syndicalistes. Le communisme appartient aux travailleurs dont la meilleure institution pour l’appliquer est le syndicat.

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