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les 3 phases du progressisme (partie 1)

 Républicanisme, Social-démocratisme, Communisme

Cent ans après Octobre, quel parti, pour quelle transformation ?

(texte paru dans Approches Marxistes revue de la G.C du P.C.F)

 

La crise organique de la démocratie bourgeoise qui s’exprime aujourd’hui à travers ses institutions : partis, parlements, conseils (régionaux, départementaux, communaux) etc. vient de se traduire de façon spectaculaire, à la dernière présidentielle, par le grand chamboule-tout d’un «dégagisme» généralisé. « Dégagisme » appelé et mis en œuvre de façon contradictoire, par des catégories sociales aux représentations et intérêts opposés. La grande lessiveuse a fonctionné au bénéfice de deux pôles de restructuration de la vie politique française, la République en Marche et la France-Insoumise, deux types de rassemblements se présentant comme des collectifs de base chapeautés par une hiérarchie réduite et ultra-centralisée, pratiquant un nouveau culte de la personnalité, un nouveau césarisme, au profit des deux personnalités : Macron et Mélenchon.

 

Pour les militants qui au-delà des étiquettes cherchent à devenir, être, ou tout simplement rester communistes, il s’agit de comprendre les causes et conséquences historiques de cette crise systémique en  France, afin de mieux cerner les attentes de notre peuple pour mieux reconstruire. Notre période voit une majorité de catégories sociales remettre en question jusqu’ aux formes mêmes de représentations qu’elles s’étaient données, sur pratiquement un siècle. Le PCF est lui-même remis en cause, et déjà nombre de ses dirigeants demandent l’abandon de ce qu’ils estiment être une idéologie obsolète, le communisme, pour devenir pleinement le grand pôle de gauche dont le parlementarisme bourgeois a besoin et qui seul, selon eux, peut sauver ce qu’il reste du mouvement ouvrier en pleine décrépitude.

 

Comment en est-on arrivé là ?

 

Selon moi, cette crise historique a sa source dans la crise de la maïeutique qui a accouché des 3 stades du progressisme historique représenté par le mouvement ouvrier. Maïeutique qui a vu le passage du républicanisme au social-démocratisme ne pas trouver, pour finir, le débouché d’un nécessaire mis en exercice du communisme. L’échec historique tient de ce que, du républicanisme en passant par le social-démocratisme aucune de ces 2 phases n’est parvenue, par ses limites organiques même, à résoudre de façon permanente la crise du système capitaliste et du mouvement ouvrier, autrement dit, à ouvrir la voie du communisme. Notre période historique exige la pleine mise en œuvre du dernier principe d’égalité des sujets entre eux, la disparition des classes sociales, qui tient dans la réalisation, autant que faire ce peut, de la disparition de la division sociale et technique du travail.

Après la domination des stades républicains et sociaux - démocrates, qui ont mis en œuvre le leur, le mouvement ouvrier doit travailler à l’advenue de l’égalitarisme communiste. Cette phase historique oblige à la remise en cause frontale de la division technique et de la division sociale du travail tant dans l’Etat que dans la société, pour aboutir à la disparition non seulement du capitalisme, mais aussi et surtout de la bourgeoisie. Car c’est la bourgeoisie qui a créé et continue de créer le capitalisme, et tant qu’elle n’aura pas disparu de tout l’espace social, elle le secrétera tant dans sa forme privée que dans sa forme publique.

 

Dans cette nécessaire évolution humaine vers la société sans classes, la phase historique qui va du capitalisme au communisme s’appelle «  socialisme », c’est une phase de nature instable ou l’Etat, qui doit décliner, joue un rôle central. Cette phase historique doit voir le progressisme du Républicanisme et du Social-Démocratisme être totalement réalisé, en même temps qu’être dépassé dialectiquement par la mise en œuvre du projet communiste. La dialectique révolutionnaire d’option communiste doit aller au-delà de leurs limites intrinsèques (i.e : au-delà de ce que ces deux stades comportent encore de bourgeois dans leur fondement même) pour aboutir à une société mondiale, sans classes et sans Etats : le Communisme.

 

Il s’agit de se souvenir pourquoi l’égalité politique et sociétale du républicanisme est entrée en crise au début du 20ème siècle, obligeant le mouvement révolutionnaire à passer à l’étape de l’égalité sociale du projet social-démocrate. Egalité sociale qui se révèle aujourd’hui inatteignable sans l’émergence d’une nouvelle figure de travailleur majoritaire en France, produit d’une égalité des producteurs entre eux, que seul le communisme peut réaliser.

 

Historiquement, une lutte dialectique de contraires meut les Sciences-Politiques (obligeant à penser celles-ci comme une réalité objective produit par des lois internes). Pour notre formation sociale française, la victoire du républicanisme s’est réalisée au dépend du monarchisme, lui-même victorieux, en partie, du féodalisme et du théocratisme. Le républicanisme n’a fait que reprendre et réagencer le stade précédent en une nouvelle configuration, la bourgeoisie déjà installée dans la société civile par la monarchie a pu bénéficier d’une avancé décisive dans la mise en œuvre du phénomène délégataire à son profit. Le monarchisme triomphant n’a pas effacé le féodalisme, il l’a soumis aux lois du marché en assurant à la bourgeoisie une place grandissante. Il a contraint par ailleurs le théocratisme aux besoins et intérêts de l’espace national, ceci en plaçant le souverain sous la responsabilité directe des forces divines, donnant aux forces religieuses une place prioritaire dans l’élaboration de l’idéologie dominante, mais dans un rôle subordonné et au service du pouvoir en place.

 

Depuis, tout comme le monarchisme, et du fait même de ses limites internes, le républicanisme a subi une série de crises historiques, alors même qu’un grand nombre de ses objectifs n’étaient et ne sont toujours pas atteints. Comme historicisme, il est entré en crise civilisationnelle au début du 20ème siècle, par la mise en œuvre de l’impérialisme, entrainant une succession de guerres. La France, conduite par une bourgeoisie triomphante, a été incapable de respecter les principes d’égalité républicaine affichée dans sa déclaration des droits de l’homme et du citoyen,  ceci tant à l’égard de ses colonisés, qu’à l’égard de ses exploités, mais aussi de ses minorités dont les minorités de genre (sexes, races, âges, géographie). Comme catégorie des Sciences- Politiques, le Républicanisme, n’a pu trouver en lui-même, le moyen de résoudre ses contradictions internes, car il  a incarné dès l’origine, les intérêts politiques de catégories sociales antagonistes en voie de distinction, de différenciation, et cet antagonisme même, ne relève pas des Sciences-Politiques, mais des Sciences-Economiques.

 

Tant qu’il est Tiers-Etat, le conglomérat essentiellement paysan des futurs bourgeois et des futurs prolétaires peut se donner « l’illusion » d’une représentation commune, d’un devenir social apte à s’incarner dans l’expression d’une constitution. Celle-ci ne peut que produire, pour être acceptable, des principes d’égalité. Le Républicanisme, c’est l’égalité du sujet de droit. « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Mais ce n’est pas parce qu’ils sont égaux en droits qu’ils le sont en faits (le droit n’est pas la justice, car la justice ne relève pas du droit mais des luttes sociales qui le font évoluer, la justice anticipe le droit et c’est pourquoi les marxistes considèrent que le droit doit s’éteindre dans une société où la justice serait totalement réalisée). Surtout, si cette même constitution concède que l’état de nature ne les a pas réalisés ainsi, et donc que s’ils sont égaux devant l’Etat, ils ne le sont pas dans leurs œuvres et dans les fruits de celles-ci, la concurrence règne entre les êtres humains et la fonction sociale de l’Etat est de l’encadrer pour mieux l’aider à la reproduire. Le Républicanisme accouche d’un égalitarisme idéaliste (éthique et moral) ayant comme expression principale la politique expression du Politique, alors que l’on remarquera que pour un marxiste, le moteur principal de la politique, c’est moins le Politique, seul, que L’Economie-Politique. Dans ce type de représentation que constitue le Républicanisme, les citoyens sont égaux entre eux dans l’exercice de la citoyenneté, plus que dans celui de l’activité économique qui les maintient physiquement inégaux dans leurs êtres, par une reproduction sociale d’exploitation, que le droit même à pour fonction de masquer.

 

La France connaîtra une longue période de luttes pour la mise en œuvre du principe républicain d’égalité. Le suffrage universel, prendra des dizaines années pour se mettre en place et il faudra bien des révolutions pour que le sujet de droit soit accepté comme cœur du républicanisme. Aujourd’hui encore de nombreuses personnes n’ont pas accès à la citoyenneté politique et juridique, ou alors seulement à une citoyenneté tronquée d’accès aux principes définis dans la déclaration nationale comme universelle des droits de l’Homme. Pourtant le républicanisme va entrer en crise, moins pour ce qu’il ne satisfait pas de façon inclusive, que pour ce qu’il est incapable de satisfaire du fait même de la mobilisation des moyens qu’il se donne. Peut-il y avoir République, sans Institutions et permanence de celles-ci, sans organisations structurant sa gouvernance, et la permanence de celles-ci n’oblige t’elle pas à en réduire l’accès de tous au profit d’une minorité ? Qui siège ? Pourquoi et pour combien de temps ? Autrement dit, qu’est-ce que la démocratie ? En faut-il une ?

 

Le Républicanisme dans les républiques va devenir de plus en plus le refuge et le frein historique d’une partie grandissante de la bourgeoisie. Pour cela elle va chercher à le transformer en monarchie présidentielle, afin d’accorder à un individu, le rôle de sauveur suprême de façon à institutionnaliser et suprématiser à travers ce personnage, son statut de classe dominante, ses fonctions et ses rôles. Et quand elle n’arrive pas à l’obtenir de façon consensuelle et idéologique, la bourgeoisie l’impose sous forme d’un césarisme, bonapartiste ou fasciste. Dans la dernière période, l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis en est un exemple manifeste, on a à faire à un césarisme préfasciste mis en œuvre par un individu issu des rangs du parti Républicain qui n’est que l’autre nom de la droite américaine. Droite qui s’oppose à une ancienne (Obama) ou toujours actuelle (Sanders) gauche, qui a choisi elle de s’appeler « Démocrate ». Si le républicanisme s’oppose au démocratisme dans la représentation américaine c’est bien parce que le républicanisme contient , en lui-même et pour lui-même un vice de forme, une insuffisance structurelle à représenter autre chose qu’un égalitarisme de sujet de droit, basé sur un droit naturel, droit qui peut fort bien ne pas être égalitaire pour tout ce qui concerne le sociétal, le social et le productif.

 

La droite française depuis la 3ème République jusqu’à sa phase gaulliste comme post-gaulliste, n’a jamais cessé à travers la métamorphose des titres de ses organisations politiques de courir après le Graal d’un Républicanisme intégrant l’ensemble de la société française dans un soutien à la bourgeoisie et plus particulièrement sa fraction dominante, ceci au moyen de la désignation d’un monarque républicain. Mouvement Républicain Populaire, Union pour la Défense de la République, Rassemblement Pour la République, Républicains- Indépendants, Les Républicains etc. Et si aujourd’hui elle donne l’impression d’avoir renoncé à se masquer derrière une utilisation abusive et exclusive du titre de « République », c’est pour en réaffirmer le pur côté césariste, le côté « politicien » du politique. L’U.M.P : l’Union pour la Majorité Présidentielle, tout est déjà dans le titre. Il s’agit de fonder une nouvelle organisation au service d’un nouveau césar.

 

La révolution bourgeoisie vis-à-vis du féodalisme monarchique a pris historiquement deux formes, les franches républiques et les monarchies-constitutionnelles. Dans Les monarchies - constitutionnelles, qui sont en fait des demi – républiques, la question du césarisme (nécessaire à l’ordre bourgeois) est prise en charge par la présence « éternelle » d’un pouvoir royal. Cette éternisation a une fonction évidente, celle de s’opposer à la crise qui ne peut manquer de survenir, si on avait à faire à une franche République.

 

A quoi sert la reine d’Angleterre et toutes les monarchies Ouest-Européennes ? Après avoir renversé la république espagnole, pourquoi Franco (César fasciste) décide - t’il de rétablir une royauté en Espagne à la tête de l’Etat ? Ni d’un côté ni de l’autre il n’est question de restaurer le féodalisme. C’est bien la bourgeoisie et en particulier la grande bourgeoisie qui dirige l’Espagne comme elle dirige l’Angleterre, mais aussi la France. Cependant avoir clairement affiché, dans sa constitution un césarisme-soft, qui, la plus-part du temps prend la forme d’un royaume d’opérette,  permet de mettre en place une telle institution, et en cas de crise sérieuse d’imposer un vrai césarisme sans que l’expression institutionnelle est besoin d’en être bouleversée.

Est-ce que l’habeas-corpus anglais est moins égalitaire dans sa reconnaissance du sujet de droit « bourgeois » que la constitution française, est-ce que les nouveaux droits acquis par les espagnols sont vraiment en retard sur ceux des français, non, on peut toujours discuter de tel ou tel article de droit ou de loi, mais ces 3 sociétés évoluent de façon parallèle. De fait, pour toutes ces bourgeoisies, le républicanisme ou le constitutionnalisme doivent prendre une forme « monarchique » s’incarnant dans un sujet ayant pouvoir suprême, ceci pour, in fine, faire barrage au passage au socialisme.

 

Le Républicanisme en ce qu’il peut tout aussi bien incarner les intérêts de la bourgeoisie, dans le modèle présidentialiste, que celui plus « centriste » du modèle parlementaire, n’indique pas une voie claire de résolution des contradictions . La seule liberté politique, n’implique pas la démocratie sociétale et sociale. C’est la grande opposition historique entre courant Républicain et courant Démocrate aux Etats-Unis. La démocratie ne peut pas être que politique, elle doit être économique et sociale aussi, si l’on veut véritablement parler de démocratie. La constitution du parti Démocrate indique, dans son titre même, l’insuffisance du républicanisme, mais il ne dit pas non plus que pour passer à la démocratie sociale et la démocratie productive, il faut imposer le socialisme. C’est ici, à nouveau, la grande limite du Démocratisme américain qui n’arrive pas franchement à se poser comme social-démocratisme. D’où les luttes incessantes en son sein entre tendance centriste bourgeoise et tendance social-démocrate ouvrière ou salariale.

Face à la crise du Républicanisme comme courant des sciences politiques, le mouvement ouvrier et révolutionnaire a répondu par la mise en place d’un Social-Démocratisme. Quel en est sa nature profonde ? Le Social-démocratisme élargie l’égalitarisme républicain à l’égalitarisme de répartition, l’égalitarisme d’affectation. Il s’agit de rétablir une justice d’accès aux biens et aux services incomplètement ou largement insatisfaits par les lois républicaines du marché. Pour cela, si les deux protagonistes, les propriétaires et les salariés, de toute production ne sont pas capables de s’entendre, il faut faire intervenir un tiers qui aura pour fonction de rétablir un certain niveau d’équité ou d’égalité entre les coéchangistes. Ce tiers peut prendre la forme publique d’un Etat, d’un organisme paritaire ou associatif. A l’origine le mouvement social-démocrate est pour une franche intervention de ce tiers qui ne doit pas hésiter à faire pencher la balance du côté du salariat, d’où une volonté clairement affichée de rupture avec le libéralisme capitaliste. Nationalisations, planification, passage de l’Etat minimal à usage purement répressif (Armée, justice, police), à l’Etat social large se fixant comme objectif d’encadrer, pour la reproduire, la force de travail. Tout ceci constitue le cœur du social-démocratisme des origines.

 

Qu’est-ce que l’Etat social-démocrate ? C’est l’Etat qui se fixe pour ambition d’encadrer la force de travail : la protéger, la soigner, l’éduquer, etc. Pourquoi ? Parce que comme le rappelle son théoricien le plus conséquent, John-Ménard Keynes, contrôler la force travail, c’est contrôler la Demande Effective, celle réelle et efficiente du pouvoir d’achat et pas celle totalement abstraite de la théorie libérale bourgeoise qui est incapable de penser et représenter la dynamique reproductive du système. Fixer le niveau de l’affectation et de la répartition de la force de travail, à travers des lois sociales, des salaires minimaux, des grilles de progressions conventionnelles, favorise le contrôle des changes et le jeu des monnaies entre-elles dans le cadre de la concurrence inter-impérialiste pour le partage du profit mondial. D’autre part, le jeu entre offre tayloro-fordiste d’une production de grandes séries et pouvoir d’achat des masses salariés permet de concevoir et de rêver une harmonie de la régulation établissant un cercle vertueux de la croissance, que l’immédiate après seconde guerre mondiale va rendre possible. Les 30 glorieuses sont à la fois pleinement keynésiennes et pleinement capitalistes.

 

Cependant et rapidement une première contradiction va se faire jour et une première conflictualité apparaître entre l’aile droite de la social-démocratie et son aile gauche. Le social-démocratisme est-il une excroissance du républicanisme, un développement plus conséquent de celui-ci, ou au contraire une mue nécessitant une rupture avec cette ancienne chrysalide. Le refus de la mue et de la rupture va produire le social-réformisme ancêtre du social-libéralisme et devenir le lit d’une possible 3ème voie, le centrisme. Cet économiste anglais, Keynes, en est la parfaite illustration, il n’a d’ailleurs jamais été membre du parti travailliste, seulement membre du parti libéral, et son interventionnisme n’a pas du tout pour ambition d’aboutir au socialisme, mais uniquement de suppléer aux insuffisances du marché capitaliste. Dans notre pays, le clair représentant de ce social-démocratisme qui ne veut pas rompre avec le républicanisme est Jean-Jaurès, c’est pourquoi il est caractérisé par tout le courant marxiste de la social-démocratie comme le représentant de l’aile droite du mouvement ouvrier français. Celui qui incarne la gauche avant, lui aussi, de trahir en 1914, c’est Jules Guesde.

Pour Jaurès, l’exception du Républicanisme français est qu’il n’a pas d’abord été un césarisme au profit d’une classe sociale, mais qu’il a permis de rêver un égalitarisme de sujets de droits encadrer par deux constitutions, la libérale bourgeoise de 91 et la sociale plébéienne de 93. Ce n’est qu’avec le coup d’Etat bonapartiste que le césarisme après une courte phase républicaine redevient monarchique. Pour Jaurès le social-démocratisme et plus tard le communisme éthique et utopique, dont il se fait le champion, ne sont que les effets d’un républicanisme rectifié et plus conséquent. Mais tout est déjà contenu dans les deux premières constitutions, donc il n’est nul besoin de procéder à des ruptures profondes, en tournant le dos aux phases précédentes d’évolution du mouvement populaire progressiste. C’est pourquoi la question du bouleversement de l’appareil d’Etat ne lui semble pas primordiale. Pour Jaurès, à partir du moment où le stade historique est devenu franchement républicain, il suffit de le démocratiser, pour ce faire on peut parfaitement accepter de le cogérer avec la bourgeoisie, si celle-ci est démocrate. Il ne s’agit plus pour lui de procéder à une révolution, elle a déjà eu lieu, il faut juste, la rendre pleine et entière dans tous ses domaines, politiques comme sociaux. C’est la fameuse controverse sur le gouvernement Millerand pour lequel il s’engage en opposition avec Jules Guesde. Si on peut obtenir des avancées sociales, il ne faut pas hésiter, selon Jaurès, à gérer avec la bourgeoisie le système.

 

C’est dans ce contexte de débats et confrontations portant sur les 2 grandes tendances progressistes des Sciences Politiques : Le Républicanisme et le Social-Démocratisme, qu’à la suite de la boucherie impérialiste de la guerre de 14, le besoin d’une nouvelle rupture se fait jour. Celle-ci ne surgit pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, depuis longtemps le troisième moment de l’automouvement de l’égalitarisme a posé ses jalons. Le Communisme existe depuis fort longtemps, sous des formes diverses avec bien souvent un caractère utopique. Cet utopisme n’est pas un idéalisme idéologique, une pure volonté de réforme morale, l’utopisme dont il question est extrêmement concret à travers l’existence de micro-communautés (religieuses ou laïques, libérales ou libertaires) qui le mettent en œuvre. Cependant jamais le communisme comme volonté systémique à l’échelle d’un pays ou d’un continent n’a connu la moindre tentative de réalisation. C’est ce à quoi vont s’atteler Lénine et ses camarades à l’échelle mondiale et internationale. Là aussi la filiation est certaine avec le social-démocratisme, Lénine durant la majorité de son existence est un leader de l’aile gauche de la social-démocratie, mais le pays dans lequel il vit est gouverné par une forme autoritaire de césarisme monarchique, le tsarisme. La possibilité d’établir une république est quasi-nulle,  dans le même temps une bourgeoisie industrielle et commerciale puissante vient d’émerger qui met à l’ordre du jour une réalité capitaliste et son cortège de concentrations ouvrières qui rend possible la transformation socialiste.

 

Qu’est-ce qui rend pratiquement obligatoire le phénomène révolutionnaire de l’implantation du socialisme en Russie, c’est le fait que la bourgeoisie russe qui doit avoir elle aussi un mouvement qui de transformation majoritaire pousse à un centralisme présidentialiste autoritaire, ne peut faire jouer cette nécessité en sa faveur, elle ne dispose pas d’un temps historique suffisamment long pour réaliser une telle opération, le socialisme sonne à la porte, car la misère des masses est immense. Quant à l’autoritarisme, il existe déjà sous la forme du tsarisme, l’Etat est donc très concentré aux mains d’une oligarchie qui est très liée au capital étranger. Ce dernier favorisant le rattrapage du retard de la Russie sur l’Europe développée, c’est donc la bourgeoisie nationale russe qui se retrouve coincée dans un étau, entre un capital étranger prédateur lié au tsarisme et un mouvement ouvrier et paysan qui veut renverser l’ordre ancien. Les aspirations libérales sociales de cette bourgeoisie vont donc être de courte durée, du fait même de la guerre et des premières révoltes, elle est obligée de se précipiter dans les bras du tsarisme qu’elle doit ensuite « renverser » par une révolution de palais en février 17, pour donner l’impression qu’elle gouverne les masses qui se sont mis en mouvement.

 

En octobre 17, la révolution « communiste » russe inverse le sens de l’histoire. Ce n’est pas une politique social-démocrate d’opposition qui s’implante en Russie, politique qui gouverne le mouvement ouvrier de l’immense majorité des pays, en particulier développés, mais un « Etat » socialiste. Le mouvement communiste russe au pouvoir, alors même qu’il avait mené la charge contre la pratique étatique contenue dans le Républicanisme et le Social-Démocratisme, ceci au nom de la remise en cause de la délégation de pouvoir, se voit contraint de réaliser d’abord et essentiellement les tâches dévolues à ces mêmes Républicanisme ( alliance bourgeoise-ouvrière-paysanne), et Social-Démocratisme : (alliance de la petite bourgeoisie de l’aristocratie ouvrière et du prolétariat), pour mettre en place un « Etat » socialiste. Ce nouvel « Etat » se présente sous forme d’une Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Le dernier terme « soviétique » étant sensé prémunir les communistes d’un oubli des nécessaires tâches de déclin des premiers termes « Républiques-Socialistes ».

 

La vérité c’est que l’Etat ne déclinera pas, mais au contraire prendra une forme tentaculaire particulièrement sous le stalinisme. A quoi se résumera la politique « communiste » de l’Etat socialiste ? A la mise en œuvre pleine et entière du Républicanisme et du Social-Démocratisme (On peut toujours discuter de l’étendu des droits, notamment en matière de droits de l’homme, mais en ce qui concerne la souveraineté et la citoyenneté, en ce qui concerne la dimension sociale de l’Etat, ses actions d’affectation- répartition et de reproduction (loi de la valeur), incontestablement la révolution russe a fait faire un pas immense à ces deux vecteurs bases du socialisme et de son Etat social).

 

L’Etat russe sous la gouvernance des communistes a-t-il conduit une action communiste ?

 

 Rappelons ce que Marx et Lénine disent de cette nécessité. Pour Marx comme pour le Lénine de « l’Etat et la Révolution », le troisième moment de l’égalitarisme doit conduire à un déclin de la division du travail, tant technique que sociale. Quelle forme doit prendre ce déclin?

 

Tout d’abord dans la politique (Républicanisme) doit s’imposer une remise en cause de la permanence de la délégation de pouvoir, une métamorphose totale et complète des Institutions, un dépérissement de l’Etat .Cette remise cause doit s’attaquer à la permanence de la séparation entre société civile et Etat. Il ne doit pas y avoir professionnalisation du personnel politique, ce qui consiste à l’enkyster et rendre son mandat permanent, mais au contraire une politisation du salarié pour lui donner un pouvoir temporaire, sur la base de mandats impératifs. D’ autre part, l’existence d’un fonctionnariat, chargé d’assurer les missions de cet Etat, doit lui aussi s’éteindre. Il s’agit donc de faire advenir une citoyenneté administrative où ce sont les habitants eux-mêmes qui de façon intermittente assurent ces missions (protection, formation, reproduction de la force travail) au cours de leur cycle de vie professionnelle. Parallèlement, dans le projet communiste (issu du social-démocratisme ou non) tant la reproduction sociale que la répartition et l’affection, doivent être liées à une nouvelle division du travail, qui voit advenir un travailleur polyvalent, « tantôt pêcheur, tantôt chasseur ou tantôt peintre » comme disait Marx parlant du travailleur sous le communisme, et donc, aussi, des conditions d’affections s’homogénéisant.

 

Une telle situation a-t-elle jamais vu le jour en Union Soviétique ?   Non. L’URSS a-t-elle jamais été une société ou un Etat communiste ? Non, ceci au regard même de la doctrine et  de ce qu’elle qualifie de société communiste.

 

Pendant ce temps, les partis communistes occidentaux eux-mêmes, notamment les plus puissants d’entre - eux, qu’ont-ils fait d’autre qu’être les vecteurs d’une mise en œuvre du Républicanisme et du Social-Démocratisme, dans le cadre du système capitaliste. Aujourd’hui que beaucoup ont décliné, voire quasiment disparu du paysage politique, est-il illogique que des militants liés à cette pratique demandent purement et simplement l’abandon de l’idéal communiste, au profit d’une organisation qui soit simplement de gauche. Vraie Gauche, Gauche-Radicale, comme on voudra, mais une organisation qui reconnaisse que l’on est obligé d’accepter les institutions telles qu’elles existent, et donc que l’on ne véhicule plus d’illusions sur leur éventuel déclin, ou sur une éventuelle remise en cause de la division du travail. Pour être un élu de gauche, dans un système capitaliste, on n’a pas besoin du communisme, le républicanisme et le social-démocratisme suffisent. On n’en a pas besoin parce qu’à moins d’une stratégie qui remette en cause l’Etat tel qu’il existe, c’est toujours via le législatif et l’exécutif, donc essentiellement via une lecture républicaine, matinée de social-démocratisme, que des réformes sont avancées et rendues possibles. Jaurès ne revient pas à la mode dans le PCF uniquement par opportunisme, Jaurès a toujours conduit la politique du PCF, même quand ce parti croyait penser et faire référence à d’autres valeurs, des valeurs communistes. On interprétait Lénine dans un sens social-démocrate, on se référait dans ses œuvres, à tout ce qui pouvait tirer son interprétation de la réalité historique dans un sens réformiste proche des thèses de Jaurès.

 

Que s’est-il passé durant les décennies que nous venons de vivre. Les valeurs égalitaires que portent les partis communistes actuels sont issues de la stratégie qui a consisté à appeler « communisme » toutes les expressions de l’égalitarisme,  tant républicaines que social –démocrates.Cette situation a été favorisée par une inversion d’influence entre le parti et ses organisations démocratiques de masse. Une inversion du sens de rotation des courroies de transmission. Ce sont elles qui désormais donnent le « La » dans les rangs du parti et impriment le sens des valeurs que celui-ci doit porter.

 

L’ Humanisme, le « droit de l’ hommisme », la protection du sujet et de l’individu, autant de problématiques qui constituent le cœur et le corps du républicanisme et du social-démocratisme, qui aujourd’ hui s’imposent comme l’idéologie dominante d’un pôle progressiste qui ne veut plus rompre avec le capitalisme mais seulement aménager, la « fin » de l’Histoire.

Si on ne conçoit pas le communisme comme résultant d’une dialectique d’abandons successifs de représentations démocratiques vieillies, incapables de mettre en œuvre  le projet communiste, ceci par leurs limites intrinsèques, c’est le communisme lui-même qui se trouve rattrapé par elles et finit englouti par ce qu’il pensait pouvoir dépasser.

 

Dans le débat que la gauche du P.C.F a en son sein, et avec les organisations issues de son histoire, cette contradiction est aujourd'hui maintenue et renouvelée. Faut-il un rassemblement national progressiste type C.N.R (Conseil National de La Résistance) qui soit donc essentiellement dominé par l’idéal Républicain, un idéal cherchant à lutter contre le Césarisme (fasciste) et ouvrant à un possible social-démocratisme ( nationalisation, planification, reproduction, protection , formation de la force de travail), faut-il au contraire ne plus penser notre projet qu’au sein du social-démocratisme, reconstruire l’Union de la Gauche, Refonder une Gauche de Gauche, ou encore fusionner en une Gauche Radicale, qui comprendrait par exemple une aile communiste « éthique » pré-léniniste. Voilà l'essentiel de la nature du débat qui aujourd'hui nous traverse.

 

Pour l’auteur de cet article, il est clair que s’il n’y a pas au sein même du P.C.F une franche démarcation entre les 3 stades historiques, et donc une totale démarcation entre leurs valeurs, fussent-elles progressistes, et ayant été historiquement nécessaires, c’est la survivance même du communisme comme projet et but qui est en cause. La seule chance de sauver un P.C.F (ou son futur remplaçant) comme expression conséquente du communisme, c’est d’être capable de comprendre pourquoi on ne peut plus stagner un siècle après Octobre, dans le simple Républicanisme ou Social-démocratisme, mise en oeuvre par un "Etat" socialiste. Comment le projet communiste doit-il reprendre ces deux stades antérieurs pour les dépasser et les faire s’éteindre, voilà la question que nous devons nous poser. En conséquence, la solution ne peut nullement venir d’un P.G.E européen, qui chercherait à bâtir, dans ce nouveau centre impérialiste, une nouvelle internationale eurocrate, sur une base éculée d’ancestrales valeurs de gauche. Car le but de créer un nouvel « Etat »,  une nouvelle « agora » parlementaire, en remplacement des anciens Etats Européens, ou bien un méta-Etat venant chapeauter, les anciens Etats européens, tourne le dos au projet communiste qui lui affirme que l’avenir de tout Etat est dans son déclin.

 

La gauche est morte, elle est morte parce que le crétinisme parlementaire, le crétinisme délégataire est mort, et il est lui-même mort parce que la crise historique de la délégation de pouvoir explose sous nos yeux, aujourd’hui même. Voir un parti qui a depuis plus d’un siècle, dans ses bagages théoriques, tous les éléments pour analyser ce qui se passe, et être aujourd’hui incapable de le comprendre, voire pire : chercher à tout pris à tirer l’histoire à l’envers, est d’une totale désespérance.

 

Partir des fins du communisme à au regard de la crise historique du mouvement communiste un autre immense avantage, c’est celui de rendre compte de ce qui a échoué dans l’aventure soviétique. La gestion purement étatique de la société soviétique a figé le temps révolutionnaire en laissant irrésolues nombre de contradictions propres au républicanisme et au social-démocratisme. La division technique et sociale issue du mode de production capitaliste, mis en place par le capitalisme d’Etat soviétique ceci sans regard critique, a favorisé la reproduction dans la formation sociale soviétique d’une bourgeoisie, certes à l’origine largement d’extraction ouvrière ou paysanne, devenue par mobilité sociale le nouvel encadrement de la société, ceux que Staline appelle "les intellectuels", mais qui a fini par oublier son origine de classe au profit de son nouveau statut. Et c’est au sein de cette dernière, que les forces contre-révolutionnaires ont permis au capitalisme privé de se reconstituer au cœur même du système. Les deux stades qui précèdent la société sans classes ( Le républicanisme et le social-démocratisme) contiennent en eux des éléments bourgeois de par le maintien de la division du travail qu’ils entretiennent dans la sphère politique et dans la sphère économique et sociale. C’est pourquoi seul le stade de l’égalitarisme communiste peut résoudre les contradictions portées par l’égalitarisme républicain, tout comme l’égalitarisme social-démocrate.

 

La contradiction principale actuelle porte donc sur :

 

- soit  survaloriser l’un des 3 stades de l’évolution du mouvement ouvrier avec, par exemple, le maintien d’un cours opportunisme en cédant aux deux périodes historiques mentionnées ci-dessus, ceci au nom d’un rassemblement électoral majoritaire :

 

1) Le projet de Front Populaire : alliance de la classe ouvrière, de la paysannerie et de la petite et moyenne bourgeoisie propriétaire privée ou non. Qui est l’expression progressiste du républicanisme, et donc l’antinomie du républicanisme bourgeois et capitaliste. Projet Justifié et renouvelé par la dimension exterministe de l’histoire du 20ème  siècle (camps de la mort et bombe atomique) qui éternise le besoin de reconnaissance de droits humains (droit naturels) et donc la sanctuarisation de l’institutionnalisation (Etats, organisations supranationales etc..) qui permet de faire vivre l’idéal de justice à travers le droit , tribunaux internationaux (Nuremberg, La Haye ).

 

Le théoricien le plus conséquent de ce stade, quand on l’absolutise, étant pour la France, mais pas seulement, le socialiste non-marxiste, Jean Jaurès.

2) Le projet de Front-Unique: qui constitue le cœur du projet de la « société » socialiste. Front-Unique qui a pour objectif de réaliser et résoudre le concept de Dictature du Prolétariat. Savoir :  la mise en exercice d’un Etat-Prolétarien (Etat de tous les non- propriétaires des moyens de production, autrement dit Etat de la pleine réalisation de la propriété publique, qui ôte à toute personne physique la propriété privée de moyens de production et s’oppose donc au Front-Populaire. Projet qui pose les jalons d’une socialisation de la force travail en jouant sur la loi de la valeur (socialisation de l’affectation et de la répartition). Et qui pose la mise en œuvre d’un « travailleur collectif » mais ne résout pas son contenu. Car l’Etat Socialiste à travers les techniques que sont la planification, l’aménagement du territoire, l’utilisation de la division technique et sociale du travail, ainsi qu’à travers la propriété publique, comme à travers le fonctionnariat, utilise encore des moyens bourgeois d’avancer dans la résolution de la contradiction. Le théoricien le plus « conséquent » en France de ce stade a été le socialiste marxiste Jules Guesde (1) .

 

- 3) Ou au contraire, d’isoler ces deux périodes en pratiquant un cours sectaire, au nom de la nécessité historique d’une démarcation, alors que des pans entiers de la société n’ont été touchés qu’incomplètement dans leur besoin d’égalité par les progressismes portés par le Républicanisme et le Social-Démocratisme. Isolement que peut produire un projet Classe contre Classe : s’il est porté par une vision gauchiste, ce dernier projet considérant que la révolution socialiste doit contenir immédiatement, la mise en place d’une société communiste et donc contenir la disparition immédiate de l’Etat, ceci en vue de chercher à  n' obtenir qu' une classe unique : la classe ouvrière.

 

 - Soit de réfléchir et mettre en oeuvre un processus historique qui conduit du premier au dernier de ces stades, mais en insistant sur les nœuds de contradictions et en proposant des stratégies de résolution de celles-ci et non pas en cherchant à opposer ces phases et en cristallisant les contradictions pour mieux diviser le mouvement ouvrier.

 

 

 

Il n’y a pas de choix historique, hors les deux pôles de cette contradiction. Choisir c’est exclure, prétendre que l’on peut éviter ce dilemme est une erreur historique.

 

L’avantage du choix des communistes léninistes de gauche est qu’il offre une résolution aux contradictions contenues dans le Républicanisme et le Social-Démocratisme, il ne prétend pas mettre en œuvre immédiatement tout son projet (comme chez les communistes libertaires ou ceux de la Gauche Communiste Historique (« Les Gauchistes » de Lénine) qui veulent faire disparaître l’Etat immédiatement). Il considère qu’il doit exister une phase intermédiaire appelée : socialisme, ou précisément les deux premières phases historiques doivent être pleinement réalisées mais aussi pleinement dépassées, par l’advenue de la fin de la division du travail dans les sphères politiques, économiques, sociétales et sociales, l’Etat doit dépérir et non disparaître immédiatement, mais il faut dès aujourd’hui en poser les conditions.

 

Ne pas le faire c’est donner les moyens à la petite et moyenne bourgeoisie, base de masse du capitalisme, de se poser cette question historique, dans des formes de représentations qui lui sont favorables. Le haro sur les institutions et les partis politiques porté par ces catégories sociales et qui vient d’être mis en scène devant nous, résulte de la reprise de cette manifestation de la crise historique que nous subissons, qui exige une résolution communiste, mais que ces catégories sociales détournent en un sens bourgeois et capitaliste de résolution.

 

La bourgeoisie aussi est anti-étatiste, elle veut, elle aussi, se passer d’un démocratisme républicain et d’un social-démocratisme qui contrecarrent en partie ses plans, car elle le fait pour rétablir sa liberté d’accès au marché et au profit. Elle retrouve donc des formes d’organisations césaristes qui lient un vénéré leader à sa base de masse. Les communistes aussi sont des libéraux, eux aussi veulent la fin de l’Etat, mais pas pour encenser un vénéré leader, fut-il Joseph Staline ou Kim Jong Il, et pas non plus un parti, fut-il « avant-garde consciente de la classe ouvrière », mais pour mettre au pouvoir une classe sociale devenue unique et homogène par disparition de la bourgeoisie. Cela ne peut s’obtenir que par la fin de la division du travail et la disparition de L’Etat.

 

Reconstruire un authentique parti communiste est donc la tâche centrale à laquelle doivent s’atteler tous ceux qui veulent aller vers la société sans classes. Il faut cesser de privilégier le rassemblement au dépend de nos valeurs. L’avenir n’est plus dans l’idéalisation d’une agora statufiée en pôle de gauche et pôle de droite, pas plus qu’il n’est dans la permanence d’un découpage entre société civile et Etat. La crise civilisationnelle appelle le turn-over et la refonte d’autres institutions, la remise en cause de la délégation de pouvoir et l’accès pour tous à son exercice effectif. Autrement dit, elle exige la fin de la division technique et sociale du travail dans l’espace économique, politique et social. C’est précisément ce que contient, la pleine réalisation du projet de société communiste.

 

P. Martin animateur du site Débat Communiste Ouvrier.wix

 

 

(1) A propos du Front-Unique :

 

Notre sensibilité « La Gauche Communiste du PCF » est divers dans son référentiel, tous nos lecteurs ont pu s’en rendre compte. Nous sommes plus qu’un courant de gauche du PCF, nous sommes une tendance. Ce qui nous unit ce sont 4 choses : notre fidélité à la Révolution d’Octobre, notre volonté de sortir du stalinisme par la porte de gauche, notre constat commun que si le PCF va très mal, il a été historiquement du bon côté de la barricade, enfin notre volonté de rouvrir la discussion sans tabou sur le passé comme sur l’avenir. Mais nous avons aussi des divergences de référentiels et d’appréciations, et si par malheur un comportement fractionnel venait à dominer nous ne pourrions que nous séparer (Ceci pour faire référence à un moment particulier de l’histoire de notre tendance où des trotskistes entristes ont cherché à nous diviser, en cherchant à nous imposer de nous construire comme fraction.)

 

Trotski n’est pas ma tasse de thé, mon « vague » référentiel (Mao via Althusser, Kollontaï via l’Opposition Ouvrière, l’Opéraïsme italien, etc.) réévalue la question des rapports de production face au couple complice Staline-Trotski qui eux surjouent dans l’absolutisation des forces productives.

Autrement dit, je n’appelle pas au stade socialiste du Front-Unique, mais au stade communiste du Classe contre Classe dans un rapport non gauchiste, c’est à dire tout en n’oubliant pas le stade du Front-Populaire, du démocratisme bourgeois républicain, ou la direction de notre parti veut aujourd’hui nous faire stagner.

 

Trotski, chantre du Front-Unique, est-il communiste ? C’est une vraie question.

 

- Oui s’en doute dans la lecture des camarades de L.O, mais précisément ce qui caractérise cette organisation, c’est qu’elle lit l’œuvre de Trotski à travers les lunettes de la Gauche Communiste Historique (Voir la lettre de Bartha à la 4ème Internationale à la fin de la seconde guerre mondiale). Même si aujourd’ hui elle cherche à en diluer les excès, par une opposition toute relative aux C.C.I ( Ultra de la G.C.H dont nous avons déjà parlé dans deux précédents numéros d’Approches Marxistes). Ces camarades, de L.O, ont décidé que les rapports de production n’étaient pas un problème ; qu’il y ait un Etat ou un Méta-Etat (Union Européenne), de toute façon la révolution socialiste les fera disparaître immédiatement ; comme la révolution doit être mondiale, sinon on combat pour le socialisme dans un seul pays, que la bourgeoisie se batte pour la France ou pour l’Europe c’est la même chose et c’est inessentiel. (L’Europe ayant quand même un avantage, elle est un pas en avant pour tous les contempteurs de la « révolution mondiale »)

 

-  C’est très loin d’être sûr, aussi, dans la vision politique des amis de Pierre Lambert. Toute l’attitude des lambertistes (Ex : O.C.I aujourd’hui P.O.I) depuis qu’ils existent, a été leur soutien masqué à la social-démocratie, que ce soit au niveau syndical (F.O) et même au niveau du projet politique. Faire adhérer ses militants à la Franc-maçonnerie, à la Libre- Pensée, pratiquer l’entrisme au P.S avec des « Michel » (Alias Lionel Jospin), chercher à noyauter la République Française dans des liens privilégiés avec la haute administration (les énarques) etc. être aujourd’hui les défenseurs sourcilleux du service public etc. Tout cela a beaucoup étonné une autre tendance du trotskisme, feu la L.C.R de Krivine, qui a fait le même constat que moi : tout le référentiel réel du P.O.I en fait de parfaits Radicaux-socialistes !

Défense de l’Etat de droit, défense du service public et de ses missions, c’est le message de Jean Moulin et de Pierre Cot !

En réalité derrière leur cri : Front-Unique ! Front-Unique ! Il faut entendre Front-Populaire, Front-Populaire ! Mais comme pour un trotskiste ce serait se renier, c’est inadmissible. (D’où la critique trotskiste du N.P.A, alors que pour moi et surtout pour le porte- parole de la G.C du PCF, cela rend cette organisation plutôt sympathique). Allons encore plus loin avec nos amis, nos « camarades », (à l’extrême gauche je n’ai que des camarades) du P.O.I. Qu’elle est la nature profonde de leur projet de construction, reprenons ce qu’ils en disent : il s’agit de réunir au cœur du même parti, les différentes fractions du mouvement ouvrier : les anarchistes, les communistes, les socialistes et les « trotskistes ». Toutes ces fractions auraient comme projet de fusionner pour reconstruire à l’échelle mondiale une internationale sur le modèle de la 1ère internationale !  

 

Partant de là, on peut établir une surprenante déduction : un anarchiste combat pour l’anarchisme, un socialiste pour le socialisme, un communiste pour le communisme, mais pour quoi travail un trotskiste ? Le trotskisme n’est pas une phase historique. Et si comme le sous-tend ce projet, le courant trotskiste de ce rassemblement en est le courant « fédérateur », que cherche t-il par ce retour en arrière vers une historique 1ère Internationale ? Bien sûr le courant fédérateur se présente comme « communiste », mais alors y a-t’il deux types de communistes au P.O.I ? Les communistes « communistes » et les trotskistes « communistes » ? On peut déjà avoir une première réponse portée par cette volonté de retour à la première internationale. Affirmer une première c’est nier qu’il ait existé une seconde et une troisième internationale. Le message clair de cette construction c’est que le social-démocratisme et le communisme léniniste ayant été des échecs, ils seraient aussi des erreurs. Bien évidemment si on fait retour à Marx et à Bakounine (1ère Internationale) c’est qu’Engels et Lénine ont échoué. C’est bien au Trotski conciliateur au Trotski « au dessus des fractions » que cette problématique renvoie. Mais avec un projet « caché », celui de remettre en selle la défense de la République. Le projet réel de cette organisation est au mieux républicano-jauressiste et au « pire » Radical - Socialiste. Reste à savoir si on peut lire Trotski dans ce sens, cela doit être possible, je ne doute pas que nos amis l’aient fait « stylos en mains ».

 

Pour le N.P.A, où plutôt feu la L.C.R. en renonçant à la dénomination de « communiste », non seulement il n’a pas été fait un pas en avant, mais il semble y avoir un recul deux pas en arrière en puissance militante. Et fondamentalement qu’est-ce que le N.P.A a fait d’autre qu’adopter la même stratégie que le P.O.I ?

Lui aussi a considéré qu’au nom de la théorie de la "vague" révolutionnaire, le reflux devait se traduire par un reflux idéologique et programmatique. Et les militants qu’ont-ils fait d’autres, eux aussi, que de rejoindre : qui les anarchistes, qui les communistes, qui les socialistes. Ce que le P.O.I a organisé « symboliquement » en interne, eux l’ont vécu concrètement dans les partis de gauche, ou d’extrême-gauche, tels qu’ils existent. Et comme entre anarchistes, communistes et socialistes, la majorité ne sait que choisir, ils ont trouvé la solution de reconstruire hier : un "N.P.A" , et pour une partie d'entre eux, ou un parti de « gauche » (ce qui ne veut strictement rien dire, sinon à désigner qu’on est pleinement victime du crétinisme parlementaire, car il faut le rappeler, pas de "gauche" sans "droite") et aujourd’hui : une France-Insoumise. Car la particularité des amis de Pierre Franck, c’est l’hypertrophie de la personnalité et la défense de ses droits. La société marchande aliène les individus, l’individu doit reprendre sa puissance perdu, il doit être un insoumis… Moralité, au nom de la lutte contre l’Etat bonapartiste, on survalorise un « petit » Bonaparte réel, ceci pour une relation « directe » entre « moi » sujet dans la foule, sujet d’une assemblée générale, et lui mon vénéré leader, mon guide altruiste etc. qui nous refait une nouvelle version de la « vague », tous les partis doivent disparaître ( tous les moments historiques qui les ont produit) sauf le mien. (Tous ceux, qui ont été lycéens ou étudiants dans leur jeunesse, connaissent parfaitement ce mode de fonctionnement des assemblées générales ou une poignée de seconds couteaux bien placés dirigent la volonté du plus grand nombre pour lui faire adopter une stratégie de grève permanente sans débouchés, car tous ces messieurs attendent l’insurrection).

 

Je suis anti-trotskiste parce que je suis anti-entriste, et si Trotski est entriste c’est qu’il se refuse à différencier les phases historiques ( pour lui et pour nombre de ses partisans socialisme et communisme c’est la même chose, militer dans un P.S ou un P.C c’est la même chose, car ses deux organisations ne sont pas idéologiquement purs au sens trotskiste du terme). Trotski ne fait pas de différence, car sa stratégie comme le dit Lénine, c’est celle de l’offensive permanente (et donc dialectiquement du reflux permanent, qu'il le veuille ou non), depuis Brest-Litovsk ce personnage n’a pas changé. Avec le trotskisme, toute consolidation des acquis est impossible, toute pause est impossible, et comme à l’échelle de l’histoire cette stratégie est suicidaire, in fine il rend les armes devant Staline le conciliateur, le centriste. Ce que je déteste encore plus ce sont les trotskistes déguisés en maoïstes. Qui interprètent la révolution ininterrompue et par étapes comme l’autre nom de la révolution permanente. Ce fut le cas de nombreux gardes rouges qui ont beaucoup fait pour décrédibiliser la pensée et l’action de Mao, renvoyant dans les bras des staliniens, les albanais, des militants qui ne voulaient pas le renversement des Etats Prolétariens. De nombreux anciens gardes « rouges » sont devenus les trotskistes de la place Tiananmen de 90, ils ont rejoint les valeurs de leurs mentors, les médias et ONG occidentaux, chantres des révolutions oranges, tout cela parce que la Chine qui a restauré le capitalisme privée, doit aussi, par reflux de la vague, restaurer le pouvoir politique du capitalisme privé, seul capable d’incarné la liberté du sujet, de « l’individu ». Là aussi la pseudo théorie de la vague aboutit à souhaiter la victoire absolue du capitalisme en Chine sous prétexte qu’elle n’est pas suffisamment pure, suffisamment rouge, et que dans ce cas qu’importe qu’elle disparaisse, puisque sur les ruines du « socialisme ayant réellement existé », la « vraie » internationale révolutionnaire (qui n’existe que dans la tête de tous ces gauchistes) finira par se créer et l’emporter à l’échelle internationale.

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