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« Droit de l’hommisme, aliénation,

et stratégie historique du Mouvement Communiste »

Article paru dans Approches Marxistes n° 36 (D.C.O)

D’où provient la droitisation du Mouvement Communiste International, sous quels masques et illusions idéologiques se dissimule - t’elle. A quelles questions et contradictions tente-t’elle d’apporter une réponse. Ce nouveau numéro d’Approches Marxistes à travers les quelques articles qu’il vous propose témoigne de la permanence de la lutte des classes à l’intérieur du P.C.F tout au long de son histoire, à travers les 3 courants qui y concourent, sa droite, son centre et sa gauche. A chaque moment historique, ils sont présents de façon masquée ou apparente, ils se nouent en des rapports contradictoires qui traversent les conjonctures et les positionnements programmatiques, ils traversent aussi les individus dans la construction de la philosophie spontanée de leur positionnement idéologique. L’histoire de cette « histoire » est aussi l’histoire de la maîtrise voire de la dénégation de cette réalité. De la suppression (ou plus exactement de sa suspension) du droit de tendances dans les années 20 par Lénine, à son interdiction par Staline dans les années 30, le bolchévisme « historique » tente de maîtriser administrativement ce qu’il ne peut circonscrire dans la réalité historique. Rétablir la réalité des faits et enjeux de cette lutte des classes est ce à quoi notre sensibilité peut utilement apporter sa pierre. Si nous voulons justifier théoriquement et construire pratiquement une aile gauche du PCF, l’une de nos tâches historiques est de démontrer que cette aile gauche n’a jamais cessé d’exister. Rendre compte de son histoire, c’est rendre compte d’une réalité qui fut souvent mise sous le boisseau, déniée voire combattue et réprimée.

 

Dans l’histoire de la gauche du PCF, ce sont  à ces interrogations que la mouvance althussérienne a cherché dès le début des années 60 à apporter une réponse. La redécouverte des écrits de jeunesse de Marx fait partie d’une offensive du courant social-démocrate commencée dans les années 30 (courant présent aussi bien au sein de la S.F.I.O devenue depuis P.S, que du P.C.F). Elle se veut la réponse du berger à la bergère, puisque c’est en arguant d’une mise sous le boisseau des textes révolutionnaires de Marx et d’Engels, notamment ceux appelant à la révolution, la disparition de l’Etat et la mise en œuvre d’une dictature du prolétariat, que Lénine avait appelé sur le plan des principes idéologiques et programmatiques à la scission et la création d’un courant communiste. La « redécouverte » du « jeune- marxisme » va donc devenir le cheval de bataille du social-démocratisme, qui s’exprime à l’intérieur des partis « ouvriers », puis de nouvelles organisations qui cherchent à en développer une lecture révolutionnaire, P.S.U, L.C.R, etc. Programmatiquement cette base commune idéologique, explique aujourd’hui la constitution d’un groupe comme « Ensemble », qui regroupe une fraction des tendances de droite du PCF et une fraction issue de l’ancienne L.C.R.

 

Pour les militants communistes que nous sommes revenir donc à la question de ces enjeux n’est pas un vain combat, autour d’une question devenue obsolète, la transmission et son approfondissement reste au cœur du débat théorique pour la reconstruction d’un point de vue communiste révolutionnaire au sein du P.C.F, la gauche conséquente ne peut faire l’économie de la question centrale que l’extrême gauche a cherché à résoudre :- Quelle était la nature de classe de l’Union Soviétique.

 

Si la Gauche Communiste du P.C.F peut avoir un intérêt pratique c’est bien dans son apport théorique, pour faire avancer une masse de militants en voie de radicalisation dont le bloc essentiel est constitué de militants qui ne souhaitent plus stagner dans la seule défense du centrisme ou du néo-centrisme (Thorez et Marchais). 

 

Pour rédiger cet article nous nous sommes appuyés sur deux textes essentiels. L’un comme référence « Pour Marx » de Louis Althusser et l’autre en citations « Révisionnisme et Philosophie de l’aliénation » de Nicole E. Thévenin.

 

« Pour Marx » paraît en 1965, Althusser écrit une série d’articles entre 60 et 65, publiés dans différentes revues, il les rassemble dans cet ouvrage unique pour leur cohérence d’ensemble. Il s’agit de réagir à la ligne politique qui se fait jour au sein du Mouvement Communiste International pour expliquer et combattre les effets de la déviation stalinienne, effets idéologiques mais aussi politiques, notamment dans leur dimension répressive, niant de fait les « droits » de l’homme au profit de la puissance publique. Cette « nouvelle » ligne politique puise l’essentiel de son argumentaire dans un retour aux sources de la philosophie du sujet et de ses droits que le « stalinisme » aurait bafoué essentiellement par méconnaissance ou par volonté politique. Elle se sert d’un certain nombre d’œuvres publiées au début de la vie politique de Marx  qui mettent en lumière, le lien idéologique profond du marxisme avec une problématique de libération du genre humain, une réaffirmation de ses droits naturels, qu’expriment ses activités, sa praxis et que révèle l’anthropologie de son travail. Ce retour à la liberté du sujet offre le double avantage de fournir une théorie rassurante à la crise d’une certaine gnoséologie (théorie de la connaissance) qui au sein de la recherche s’est traduit par une dérive affligeante en une théorie des deux sciences (science bourgeoise, science prolétarienne), produit d’une chosification des relations, réduisant les relations sociales entre les individus à des rapports d’objets (l’objet étudié et le résultat de cette étude comme phénomène objectif, comme « science » [ positivisme].

 

Derrière la chosification il faut, pour ce courant, chercher à retrouver le sujet, en lui rendant la pleine possession de ses activités et de ses découvertes. Il faut donc faire retour à ce qui fonde le libéralisme comme théorie de la liberté ou de la libération du sujet. Le sujet est dit « libre », s’il effectue ses choix en pleine connaissance, en pleine conscience, mais aussi en pleine faculté, en pleine capacité. Et pour cela il est impératif de reconnaître au sujet le « droit » de se penser corps propre parce que corps autonome mû par une conscience de soi. C’est la conscience qui pousse le corps à agir, sans liberté de conscience je n’ai pas de liberté d’action.

 

Pour cette représentation philosophique, la conscience détermine l’être. Qu’est-ce qu’être aliéné, qu’est-ce qu’être un aliéné, c’est ne plus disposer de toute sa liberté de conscience et donc de toute sa liberté d’action que traduit sa capacité. Je ne peux être en capacité, en praxis, si je ne suis pas en possession, de mes facultés comme des produits de ces facultés. Car le résultat de ces facultés se présente sous une double face : sous la forme d’un produit extérieur à ma personne, un objet (matériel ou immatériel) fruit de mon activité et sous la forme d’une modification du produit de ma personne, ma connaissance, ma conscience et mes capacités, ma dextérité.

 

Qu’est-ce qui fonde le droit de l’homme comme droit de propriété et droit naturel, c’est que nier le droit de possession du moment objectif extérieur à ma personne (le produit de mon activité) oblige à nier son moment subjectif intérieur. Mon « patrimoine » c’est à la fois la collection d’objets que je me suis constituée, mais c’est aussi la série de capacités que j’ai acquises par cette activité, le droit de l’un est fondé sur la capacité de l’autre en tant qu’il est bien « ma » possession, parce qu’effectué en « toute » conscience.

 

C’est pourquoi toute théorie des droits de l’Homme, comme droit naturel, est inséparable du droit de propriété. Une chose seulement peut contrarier un tel lien organique, dans les lois naturelles et les lois sociales : la dépossession.

 

Pour les partisans de la théorie de l’aliénation, il s’agit donc d’étudier le processus historique et social qui a conduit à l’existence de sociétés où une partie de la société s’est trouvée dépossédée de son activité au profit de l’autre. Les partisans de l’aliénation sociale voient dans la mise en place des sociétés marchandes, la cause moderne et efficiente de la dépossession.

 

L’effet de la marchandisation des relations humaines est d’introduire un tiers dans une relation duale. L’échange sans monnaie (le troc), qui précède les sociétés marchandes, est un type de relation qui à chaque acte d’échange ne concerne que deux protagonistes, elle permet donc à tout sujet de réguler consciemment son besoin d’échange et de n’entrer en « communication », en « échange », que si le sujet le souhaite. L’apparition des marchés et de la monnaie moderne pousse à la spécialisation du sujet et à l’accumulation de la marchandise, en particulier de cette marchandise singulière que constitue la monnaie. Le marché et la marchandisation favorisent donc le développement d’un type de personnalité qui n’existait pas avant, le banquier. Le banquier en étant producteur et introducteur de la monnaie comme monnaie marchandise acquière la capacité de disjoindre la relation d’échange et dans reporter l’immédiateté, il acquière la faculté d’en accumuler les effets, de construire un pôle de rétention de richesse extérieure à la volonté des échangistes. Cette faculté contenue dans l’objet marchandise monnaie est multipliée, par sa dimension d’universalisation (accès à toutes les marchandises) que favorise l’unification des marchés et des monnaies, puis par son effet multiplicateur et accumulateur, quand la puissance publique lui accorde le droit unique d’en accroître la quantité voire de la créer avec la mise en place du crédit. Sortir, donc, de l’effet de dépossession de la société moderne actuelle, pour les partisans modernes de la désaliénation, c’est avant tout sortir de l’histoire des sociétés marchandes, qui favorisent l’accumulation et la rétention de richesse à un pôle au dépendant du plus grand nombre. La marchandise, à travers son accumulation favorise le profit et le profit n’est possible que par la dépossession d’un sujet qui a perdu le droit de propriété sur l’objet qu’il a créé.   

 

- « Cette conception, nous dit Nicole Edith Thévenin, est au cœur de la problématique des socialistes « vrais » (courant philosophique et politique de l’époque de Marx) et d’un auteur comme Hess. »

 

L’idée de ce courant philosophique est de disjoindre l’Etat et la société civile et de montrer que le « socialisme » n’est pas la négation de la propriété privée, mais au contraire son plein épanouissement. L’Etat seul est une contrainte dans la mesure où à travers la puissance publique, il incarne des objectifs contraires aux intérêts privés.

 

- « Pour Hess, dans la société civile bourgeoise, la propriété personnelle est dans son principe « pure ». Il s’agit alors de renverser l’Etat pour réaliser cette pureté et avec elle, l’individualité et son droit à la jouissance. Il s’agit de trouver un principe qui règle l’égalité entre tous les sujets, car la jouissance est toujours la jouissance de quelque chose. Jouir de soi, selon le principe de la philosophie de l’aliénation, est toujours jouir d’une propriété quelconque .Nier toute propriété, c’est nier l’être même de l’homme. La propriété nous dit Hess est le « corps » de l’Homme. Elle l’exprime, en est la demeure, dépositaire de son essence…La fin de l’aliénation c’est la fin de la séparation de la « personnalité » d’avec ses moyens d’existence, c'est-à-dire son « corps ». L’homme alors abolit toute médiation donc toute « représentation » qui est la forme même de l’aliénation et dont l’argent est le symbole, pour instaurer une « adhérence entre le propriétaire et son bien ». Hess donne ici l’exemple de la langue qui d’après lui ne peut qu’échapper à toute aliénation, à tout achat et vente donc à toute représentation monétaire, dans la mesure où elle adhère « organiquement » à l’homme. »- p.88

 

Pour les partisans de la théorie de l’aliénation, il s’agit donc derrière l’état de culture de faire retour à un état de nature. La vie en groupe, la vie en société doit être régie par une approche qui permet à chaque homme, à chaque être humain d’être « respecté » dans sa personnalité profonde et donc dans son « être ». Il faut donc aller chercher l’explication de la socialisation du sujet du côté des sciences humaines qui se rapprochent le plus des sciences physiologiques.

C’est donc du côté de la psychologie et du côté de l’anthropologie que se tiennent les solutions d’une possible réconciliation de l’homme avec lui-même. C’est là que se tient l’interface entre le biologique et le social. C’est de la capacité et de l’activité que surgit le relationnel, c’est de leur retour au sujet que dépend la construction de sa personnalité. De là découle une vision de l’économie comme résultat d’une recherche de la satisfaction humaine des « besoins », l’économie est le produit de l’économicité du sujet calculateur qui cherche à combiner des facteurs de production en vue de satisfaire ses besoins. L’histoire des forces productives, c’est l’histoire de la combinaison du travail (la force de travail) et des moyens de travail en vue de cet objectif.

 

Pour que l’individu se retrouve, il doit rompre avec la chosification du processus de production. La subjectivité est satisfaite à travers la satisfaction des besoins et pour qu’ils puissent pleinement s’épanouir, il faut qu’ils échappent à la contrainte, notamment celle d’être révélés au moyen de leur marchandisation. Tous les besoins ne sont pas satisfaits par la société marchande et ceux que valorisent la société marchande ne deviennent accessibles que contre le sacrifice d’un temps libre en temps contraint. Le salariat de la société moderne capitaliste, c’est la mise en place d’une nouvelle forme de temps contraint, elle fait suite à toute une série de temps contraints historiques qui vont de la suppression totale de liberté dans l’esclavagisme, au temps donné de la corvée dans le système féodal. La question de disposer librement de son temps devient donc une question centrale dans ce type d’approche. Pour se libérer, pour disposer librement de son temps et donc de sa personne, il faut transférer la contrainte du sujet sur un objet. Construire la société moderne de libération de l’Homme c’est donc transférer la contrainte du temps imposé du producteur sur les moyens de travail.

 

Qu’est-ce que moderniser la production, c’est organiser les forces productives, de telle façon que les gains de productivité s’obtiennent par une augmentation de la subjectivisation de l’objet, du moyen de travail, son auto-mouvement. La reconnaissance que cet objet est bien le produit d’une possession (droit naturel engendrant un droit privé secrétant une forme particulière de son expression comme agrégation comme droit commun public) et par une désobjectivation du sujet, une récupération de temps choisi au moyen d’une diminution du temps contraint imposé par le rapport salarial (diminution du temps de travail).

 

C’est à cette condition que la rencontre de deux subjectivités peut se construire comme échange « vrai », comme authentique « communication ». Le vivant, le mouvement sont le fruit du sujet et de sa liberté. L’histoire de l’humanité est l’histoire de l’évolution des forces productives, qui va de la scission du travailleur d’avec son objet de travail comme excroissance de sa subjectivité (l’outil prolongement de la main) au moyen d’une division technique et sociale du travail, division nécessaire pour accroître la productivité du travail, nécessaire à la modernisation de l’outil de travail, et par une augmentation de sa subjectivisation, son autonomie dans le processus de production. Cette réalité le rendrait de plus en plus apte par elle-même et en elle-même à produire au profit du sujet humain (électrification, électronisation, boucle rétroactive, révolution informationnelle, etc.), elle ne peut le faire « au profit de » que si l’on considère qu’elle est bien « la possession de », donc la satisfaction du besoin est inséparable du droit de propriété, lui-même fruit du droit naturel.

 

L’objection naturelle à ce type de conception philosophique qui fait de l’idéalisme le moteur d’une représentation de la liberté du sujet, est de partir non plus du moment subjectif de l’appropriation, mais du moment objectif des conditions de sa mise en œuvre. Pour pouvoir rompre avec la logique organique de l’appropriation, il faut arriver à prouver que ce qui apparaît comme résultant d’un moment subjectif, n’est que le produit d’un moment objectif qui échappe à la volonté du sujet.

 

L’étude du système capitaliste comme moment objectif, son histoire, devient donc un enjeu entre partisans de la théorie de l’aliénation comme perte et dépossession du sujet et ceux qui veulent voir dans la dernière société de classe, l’expression et la concentration d’une modernité historique appelant à un bouleversement, que ne comprenaient pas et ne pouvaient satisfaire les sociétés de classes antérieures.

 

Jusqu’à l’écriture du « Capital », Karl Marx dans ses études antérieures, place la situation du sujet au centre de la conflictualité y compris quand il agit sous la forme collective d’une classe sociale. Avec le « Capital », l’analyse scientifique de la lutte des classes, pour la mouvance althussérienne assoit une rupture de représentation. Elle devient un antihumanisme « théorique », qui rompt avec une vision de l’histoire comme produit de l’humanisme pratique. Cela ne veut pas dire que cette sensibilité marxiste nie l’existence d’un humanisme pratique, nie le fait qu’il existe une activation du sujet par le lien qu’il entretient et l’interface qu’il représente entre le biologique et le social, qu’il y a bien expression d’une volonté du sujet quand il cherche à produire un résultat, de même quand il cherche à s’associer pour produire où essayer de produire une volonté collective. Mais les résultats réels, les faits objectifs économiques sociaux et sociétaux sont loin de ceux escomptés par le psychologisme, l’économisme et le sociologisme, d'un volontarisme de la conscience qui cherche à pousser à l’action, aboutissant à un résultat conforme aux espérances.

 

La première réflexion des antihumanistes a été de constater la vacuité de la philosophie de la liberté quand on essaie de construire une théorie du sujet. Le sujet naît dans une société qui le précède et l’accueil, elle lui attribue une place et un état civil, elle lui offre des connaissances sous forme de sciences codifiées qu’il peut s’approprier aux moyens de langages eux-mêmes codifiés. La fameuse liberté du sujet est donc une liberté sous contrainte sociale et sociétale, mais aussi physique et physiologique. Quand on s’intéresse au corps propre pour fonder une liberté du sujet comme fruit d’une action biologique qui lui est propre, la liberté n’existe qu’à travers l’existence de lois physiologiques qui s’imposent à tous les sujets. Ainsi la radiographie du cerveau révèle t’elle des zones identiques de manifestation de la parole et de l’activité quand on sollicite des sujets différents, le sujet n’a donc pas le choix du cadre de son intervention et des conditions de celles-ci. L’appropriation est d’abord une convention sociale qui autorise l’individu à se « penser » propriétaire, mais cette propriété résulte t’elle d’un fait ou d’un imaginaire ? La propriété résulte telle d’une activité ou d’une idéologie ?

 

Où est la liberté ? Sinon celle de se conformer à ce que la société attend de vous, ou à tout le moins, quand on développe une activité que l’on juge contraire aux intérêts d’une partie de la société, de la remettre en cause d’une façon qui apparaisse logique à ceux-là même que cette remise en cause vise. Dès lors c’est la cohérence interne de la logique du sujet qui est visé et qui offre la possibilité d’un échange, d’une communication. Tout bouleversement social relève d’une logique interne, sinon il s’agit d’une révolte, d’une expression chaotique qui doit trouver une nouvelle logique ou faire retour à la logique antérieure.

 

L’idéologie des tenants de l’Etat de droit est le produit de la philosophie des lumières. Le retour à l’idéologie naturaliste du 18ème siècle, favorise les fondements d’une telle dialectique de la libération sociale comme libération du sujet du social se réappropriant sa personnalité sous la forme d’un contrat relationnel, le fameux contrat social. La bonté « naturelle » ne pourrait à nouveau gouverner les hommes, que si la toute puissance du sujet conscient est respectée, faisant de ses actes une émanation de sa personne et du produit de ses actes, le fruit de sa subjectivité cristallisée.

 

La Déclaration des Droits de l’Homme se pose donc dans la conception dominante de cette époque (Rousseau, Voltaire) et du siècle qui lui fait suite (Hegel, Kant) comme l’expression d’une loi de la nature (droit naturel) qui concerne une espèce particulière l’ « Homme » parce que pourvu d’un don particulier: la faculté de raison. Le fait de conscience y devient une capacité patrimoniale qui se manifeste par son pouvoir à actualiser dans le sujet même, le passé (sa mémoire), le présent (par son activité dans l’ici et maintenant), le futur ( l’anticipation, le calcul). Le fruit de l’acte conscient devient propriété du sujet qui le réalise l’a réalisé ou le réalisera. Cette capacité ne résulte pas d’une loi sociale mais d’une loi naturelle. Le social est donc le fruit du naturel et pour que le social en devienne le calque, la justification, il faut que ce phénomène se réalise en conscience. Le social est donc le produit de la rencontre de deux subjectivités (ou plus), une intersubjectivité, il résulte d’une relation psychologique consciente et non d’une détermination économique inconsciente, la sociologie tient de la psychologie et non de l’économie politique.

 

Pour cette conception qui fait de l’intersubjectivité le moteur de la dynamique sociale, l’aliénation est bien le fruit d’une absence de conscience, mais c’est une absence qui résulte de la chosification des relations humaines, c’est le rapport d’argent qui pervertit la relation, masquant au sujet sa perte d’autonomie dans le libre choix de ses actes. Il se retrouve dans une situation de subordination, où il est privé de son droit de propriété sur les biens produits, les moyens de production utilisés et le temps consacré à l’activité.

 

Se « libérer » c’est donc faire retour à l’état initial du marché, jugé âge d’or, où le petit producteur était propriétaire de sa personne de ses biens comme de ses actes. la fonction capitalistique de la monnaie peut donc y être contenu, l’accumulation monopolistique détruite (force productives et moyens de production), la monnaie dès lors peut se transformer en « bons » donnant accès aux entrepôts dominés par un marché de petits producteurs ou un marché coopératif. 

 

L’homme conscient à des droits, car c’est un sujet responsable pourvu de capacités. Dès lors surgit la question lancinante concernant tout ce qui est, ou est susceptible de devenir « sujet », de le pourvoir de droits. La liberté « vraie » ou action de « Libération » c’est le projet qui consiste à reconnaître à toute chose existante un statut de sujet .L’animal domestique comme l’animal sauvage, l’objet « actif », l’entreprise, etc. tous ont désormais accès au droit. Droit public, droit privé tous deviennent sujets de droit, ils ont la possibilité d’accéder aux droits pour autant qu’on leur reconnaisse une « personnalité ».

 

Au sein du PCF, c’est dans l’ancien bloc centriste qui a assuré l’hégémonie et la domination du « stagnationisme » jusqu’à la disparition de Georges Marchais que cette idéologie est la mieux portée et la plus transparente. L’ancien Directeur des Editions Sociales et idéologue officiel du parti, Lucien Sève, en a fait son cheval de bataille dans sa lutte contre l’aile gauche du parti. Son ouvrage de référence « Marxisme et théorie de la personnalité » se veut une réponse marxiste et humaniste à la douloureuse question du respect des droits de l’homme au cœur des années 70, avec l’avènement de la crise du bloc soviétique.

 

Aujourd’hui encore, Lucien Sève poursuit se projet de constituer un marxisme surdéterminé par le psychologisme, au nom de la défense de l’individu, de sa personnalité et de ses droits. Tous ses ouvrages tournent autour de cette problématique. Il faut bien voir, pour nous membres de l’aile gauche en quoi cette approche est encore la nouvelle justification théorique du bloc droitier « recentré » qu’incarne le secrétaire général de notre parti et en quoi surtout il est au cœur du dispositif de l’ancien courant purement droitier : le Hueïsme, mais surtout de son aile mouvementiste le buffétisme, deux expressions de l’aile social-démocrate qui ont succédé au stagnationisme marchaisien. 

 

Libération de la femme, libération des minorités opprimées, libération du « sujet », toute cette idéologie qui a totalement envie depuis mai 68, notre espace idéologique (et dont le sociologue Michel Clouscard a fait une critique essentielle) devient pour les tenants de la révolte des « indignés » des « mouvementistes » aussi fondamental (sinon plus fondamental) que la lutte des classes. Mais pour que ce projet devienne crédible il faut « marxiser » ce type de conflictualité et « social-démocratiser » ce que ce type de courant appelle « lutte de classes », et quoi de plus naturel que de partir du « sujet », de l'homme singulier, et du respect de ses droits.

 

Il va s’en dire que dans cette lutte le courant de droite aussi bien que le courant centriste bénéficie d’un avantage historique, celui de mener leur opération de révision du marxisme au sein de la formation sociale qui est la plus marquée par l’idéologie des droits de l’homme. Cette idéologie est au cœur du projet de 1789 et elle devient le socle de la nouvelle alliance que le parti communiste « recentré » de 1936 propose aux forces progressistes de notre pays à travers l’accord politique d’un Front Populaire.

 

Le Front Populaire défend et valorise le sujet de droit comme produit de l’époque des lumières face à l’absolutisme monarchique mais aussi face à l'obscurantisme fasciste. En 1789, le tiers- état (conglomérat indistinct formé essentiellement de deux classes en constitution, la bourgeoise et la prolétarienne, mais aussi d’une paysannerie qui en constitue le réservoir) accède à la reconnaissance et au plein exercice de la souveraineté à travers la mise en place d’une constitution qui fixe des droits, non pas aux classes sociales mais aux individus, les "hommes".

 

C’est sur cet accord d’une reconnaissance des droits, y compris des droits privés, que le parti communiste propose à toute une fraction bourgeoise de rejoindre le combat des forces progressistes contre la montée des forces ultra -réactionnaires et fascistes, les forces de l’ombre face à celles des lumières.

 

La mise en place de l’idéologie du Front-Populaire ne s’est pas faite au sein du courant communiste sans luttes et sans conflictualités. Elle charrie tout un imaginaire collectif qui fait du militant communiste un continuateur des sans-culottes mais aussi de toutes les grandes figures historiques qui ont contribué à construire l’espace national français, la « nation » française, de Vercingétorix à Jeanne - d’Arc, tout y passe.

 

Au sein du courant communiste, deux tendances vont s’opposer à ce cours nouveau, les tenants du Front-Unique et les tenants du Classe contre Classe. Les tenants du Front-Unique, mis en place au moment du 2ème congrès de l’Internationale Communiste, ne veulent pas d’alliance programmatique et idéologique avec la moyenne bourgeoisie (fermiers, boutiquiers, P.M.E, hauts-fonctionnaires etc..),car une telle alliance présuppose la défense de l’Etat de droit et donc l’affirmation que l’on n’a plus l’intention de le révolutionner pour tendre à terme à sa disparition. La stratégie du Front-Populaire contient déjà en elle, le ferment de sa dérive droitière, la mise en place d’un projet purement électoral voire électoraliste, où l'Etat n'a plus besoin de disparaître.

Il s’agit de bâtir des stratégies d’alliance qui bloquent toute perspective d’avenir sur des bases programmatiques propres aux intérêts du mouvement ouvrier. La disparition de l’Etat devient impossible car cela nécessite de s’attaquer à sa dimension répressive qui est au cœur du dispositif « droit de l’hommiste » ( juges, flics et militaires, mais aussi avocats et assistantes sociales font  vivre « le droit », s’attaquer à l’Etat c’est s’attaquer aux formes d’expressions concrètes du droit et donc remettre en cause l’idéologie des droits de l’homme, dont le droit de propriété qui en est le cœur essentiel).

Avec Yalta, l’idéologie du Front-Populaire connaît un second souffle, il n’est plus question de soutenir un projet révolutionnaire dans l’espace occidental. Le partage de « pays » en zones d’influences, fait qu’il y a par la même une absolutisation des formes étatiques et constitutionnelles et donc de droit, via la souveraineté des Etats, pour délimiter qui est à l’ouest ou qui est à l’Est.

 

La seule liberté qui reste au mouvement ouvrier c’est celle d’un programme électoral « acceptable » car supportable par la partie bourgeoise (un programme basé essentiellement sur l’impôt et les nationalisations partielles qui ne peuvent pas sortir de la logique capitaliste et donc ne peuvent dépasser le stade d’un capitalisme d’Etat favorable au capitalisme privé, c’est le fameux Capitalisme Monopoliste d’Etat.). Dès lors le pli est pris et il devient rédhibitoire, il s’agit de jouer le rôle de flanc gauche d’une alliance électorale essentiellement portée par la social-démocratie à qui on cède la première place, de fait, et qui est chargée de jouer la colonne vertébrale d’un projet qui ne peut être que partiel, flexible et déconstructible, puisqu’il s’inscrit dans la partie de ping-pong permanent de l’alternance « démocratique », un coup à gauche un coup à droite, un coup à droite un coup à gauche.

 

Le nouveau projet du militant « communiste » dans un parti "recentré" devient donc celui de chercher à conquérir des droits, conquérir si possible mais aujourd’hui surtout défendre. L’Etat comme appareil répressif et dictature de la bourgeoisie est totalement escamoté, le combat devient celui de sa démocratisation. L’Etat démocratique, l’Europe démocratique, la Famille démocratique, l’Ecole démocratique, j’en passe et des meilleurs, tout doit être démocratisé, car le sujet à des droits et le sens de son combat est celui du ou des droits qui lui restent à appliquer ou à conquérir.

 

La droitisation du mouvement communiste provient de se ralliement à l’idéologie du Front Populaire, comme incarnation des valeurs de 1789, qu’il s’agit aujourd’hui pleinement d’appliquer, car et c’est ce qui fait la spécificité de tout le courant qui en constitue le soubassement politique (Républicains, radicaux- socialistes, souverainistes et « communistes » partisans du seul Front-Populaire etc..) 1789 apparaît comme une révolution populaire « trahie » par la bourgeoisie.

 

Qu’est-ce qui fait la grandeur de la France révolutionnaire ? Sa déclaration universelle des droits de l’Homme, qu’est-ce qui n’est pas respecté, y compris par ceux qui les ont mis en place (les jacobins) : ses articles de lois, ses articles de droit. L’homme a des droits, l’homme a une conscience, l’homme est en conscience propriétaire des ses biens comme de ses actes. Donc on ne peut pas reprocher à Danton de chercher à s’enrichir, on ne peut pas reprocher à l’accumulation primitive du capital d’avoir lieu. La seule chose que l’on puisse faire c’est chercher en conscience à en contrôler les effets. Si un monopole se crée on doit le combattre, car il ne respecte pas la liberté du sujet sur le marché, mais la forme publique n’est nullement obligatoire, nationaliser est un pis-aller, le respect des fondements de la constitution se suffisent à eux-mêmes, ils valorisent le statut « petit-bourgeois » du sujet de droit. Si on respecte la libre concurrence des sujets entre- eux aucune situation de monopole ne peut surgir, y compris sur le marché, il suffit de faire jouer la « liberté » des prix et la rente monopolistique ne peut que disparaître, c’est ce que diront les nouveaux libéraux économiques, les néoclassiques.

 

Pour le courant qui allie républicanisme et social-démocratisme avec éventuellement des pointes du côté du communisme, envisager comme pleine application au sujet des avantages des deux valeurs précédentes, en gros les jauressistes, le communisme « éthique » du sujet, sa forme suprême de libération , passe par la pleine application de ses droits. Tous les processus révolutionnaires depuis 89 en sont la déclinaison : 1830 le rétablissement de la liberté du sujet de droit bourgeois face à la monarchie, 1848, le droit du sujet s’applique au droit des peuples (en Europe), 1871 le droit du sujet s’applique au salarié à travers le respect du droit du travail, qui en se défendant devient ainsi un véritable patriote, lutte pour la chute des empires.

 

L’idéal d’un "1789 trahi par la bourgeoisie" (sous-entendu, les « gros », ceux qui se sont appropriés les biens nationaux, réalisant l’accumulation primitive nécessaire au plein développement de la grande bourgeoisie), c’est l’idéal petit-bourgeois du citoyen propriétaire en pleine possession de ses facultés et de ces capacités qui s’en tient aux prolégomènes du marché et refuse ce qui est entrain d’advenir, la mise en place du capitalisme. « Le capitalisme, c’est la faute des riches, la faute des puissances d’argent qui nous ruinent ». le petit-bourgeois hait ce qu’il est entrain de devenir, un futur prolétaire (privé de droits), un futur « ouvrier » (un exploité), c’est cette haine de soi comme devenir « être » qui va produire la réaction fasciste, haine des gros et haine des exclus et des exploités.

 

Les partisans du Front-Unique et surtout ceux du Classe contre Classe vont particulièrement dénoncer les ambiguïtés de ce nouveau positionnement du M.C.I. Les partisans du Front-Unique, essentiellement les trotskistes, et ceux du Classe contre Classe, la Gauche Communiste Historique (bordigistes et conseillistes). Mais ils défendent deux positionnements qui ne sont pas non plus sans limites et sans contradictions.

 

Les partisans du Front - Unique ne nient pas la nécessité de l’Etat de classe puisqu’ils défendent le socialisme comme transition. Dès lors, s’ils se méfient du sujet de droit en tant que propriétaire privé, ils ne nient pas que le non- propriétaire des moyens de production puisse avoir un intérêt réel au changement, or la non-propriété ne concerne pas seulement les exploités, elle concerne aussi tous les actifs qui ne sont pas propriétaires du capital ou des moyens de production (autre que la force de travail), en gros l’ensemble des salariés exploités ou non, dont les fonctionnaires. Ceci  justifie que l’on puisse faire confiance à ceux qui font fonctionner la machine d’Etat. Leur statut de non-propriétaires en fait des prolétaires. Toute une partie de ce dispositif idéologique est aujourd’hui repris par Sève, qui lui aussi fait du salarié « en général », du payé, le porteur de l’émancipation à venir.

Il faut bien voir que pour que cette approche fonctionne, il faut qu’un glissement sémantique s’opère entre le concept de Prolétaire et celui d’Ouvrier. Dans la conception des partisans du Front Populaire comme pour ceux du Front-Unique, l’Etat de transition peut exister comme « Etat » précisément parce que ceux qui le font fonctionner, n'ont pas d’intérêts propres à faire valoir. Ils sont l’incarnation de l’ « Etat » qui peut être « Ouvrier », s’ils défendent et mettent en œuvre, le programme de l’Etat social redistributif, favorable au monde du « travail ».L’Etat est « ouvrier », le parti est « ouvrier » voilà par quoi la déviation s’insinue dans ces deux conceptions (Front- Populaire et Front-Unique). Donc ceux qui font fonctionner l’Etat de droit ne peuvent avoir d’intérêts contraires aux exploités. La critique de « l’Etat » de classe prendra essentiellement, pour ce courant, la forme d’une dénonciation de sa mauvaise gestion, sa bureaucratisation, qui fait de ceux qui font fonctionner l’appareil d’Etat et l’appareil productif, une couche bureaucratique aux intérêts convergents mais pas une classe.

 

C’est sur cette contradiction que va porter la critique du courant « Classe contre Classe » qu’incarne principalement la Gauche Communiste Historique (Conseillistes et Bordigistes), ce courant représenté en France par Albert Treint est un produit du zinovievisme. Zinoviev incarne au sein de l’I.C cette sensibilité, qui poursuit le programme défendu par le premier Boukharine, celui de la dénonciation de l’Etat soviétique comme capitalisme d’Etat. De fait ce courant se prononce pour la disparition immédiate de l’Etat, du parlementarisme et de la délégation permanente de pouvoir. Le courant le plus virulent de toute la Gauche Communiste contre le droit de l’hommisme est le bordigisme. La démocratie, l’alternance électorale, le droit de propriété sont pour eux les produits de tout ce que les communistes doivent combattre. Cette attitude les conduit durant la seconde guerre mondiale à refuser de participer à la résistance et de renvoyer dos à dos les alliés et les forces de l’axe. Pour eux tous sont des bourgeois défendant des intérêts impérialistes et doivent donc être combattus de la même manière.

La dérive de certains membres de cette mouvance va les conduire à se rapprocher de l’extrême-droite. Des membres du KAPD allemand (Hambourg) appellent à la construction d’une nation forte au nom de valeurs culturelles partagées au-delà des classes, l’alliance des prolétaires (notamment du lumpenprolétariat), suite à la crise de 29, fait que si Lénine reconnait la nécessite d’un capitalisme d’Etat en Russie, pour assurer le plein emploi, on peut partager avec le lumpen qui a rejoint les fascistes (les S.A) l’idée de le construire en Allemagne contre la finance et la bourgeoisie cosmopolite.

Les bordigistes eux vont s’en prendre à l’idéal des droits de l’homme et d’un droit naturel, qui trouveraient une nouvelle justification par l’exterminisme de masse que les nazis sont en train de mettre en œuvre, ce qui justifie d’autant plus la nouvelle ligne de l’I.C du droit de l’hommisme incarnée par le Front Populaire. Un certain nombre d’entre eux vont refuser l’idée d’une Shoa et la réduire à un cas particulier de travail forcé qui devient la norme dans les camps mais aussi dans toute l’Allemagne, le salarié allemand, l’éloigné du STO, le déporté des camps de travail tout comme ceux des camps d’extermination deviennent des « esclaves » du capitalisme et le « camp », quelque soit sa nature, une norme qui se généralise, il est d’ailleurs lui-même placé à côté d’une grande entreprise pour qui il travaille. C’est donc le capitalisme en général et quelque soit la forme sous laquelle il se présente qu’il va falloir combattre. Le lien existe par la même avec la société soviétique, qui en maintenant le travail salarié maintient la loi de la valeur et l’exploitation et en instituant les camps de travail, au profit du capitalisme d’Etat russe, conduit à un rapprochement de fait avec l’Allemagne nazi ou à tout le moins avec l’Italie fasciste. Pour toute cette mouvance de rouge-brun, ce qui pollue l’Etat fort c’est la monnaie, c’est qu’on puisse « acheter » l’esprit « révolutionnaire » et ceux qui se comportent ainsi pour répandre leur cosmopolitisme se sont les juifs, les juifs ont l’argent et l’argent c’est à terme le capital et donc la perte d’essence de la citoyenneté, vecteur de l’esprit national.

Dans cette mouvance extrême voire ultra, la ligne est étroite chez certains entre le bon côté de la barricade et le mauvais côté (la veille Taupe, les nationaux-bolchéviks etc. sont les produits de cette dérive là).

 

Pour mémoire, rappelons que le concept "d’hitléro-trotskiste" utilisé par la résistance communiste appliqué indifféremment aux partisans du Front-Unique comme à ceux du Classe contre Classe, n’est pas fondé au regard de l’histoire des idées. La dénonciation ne s’adresse qu’aux partisans du Classe contre Classe mis en oeuvre dans une lecture gauchiste, une partie essentielle des trotskistes ayant participé à la résistance. C’est la minorité de ce courant sous-influence de la Gauche-Communiste, notamment le père fondateur de Lutte - Ouvrière : Bartha, qui a conduit les partis communistes à tenir ce genre de discours contre eux. Bartha écrit une lettre de dénonciation de l’attitude de la 4ème Internationale à la fin de la guerre, pour la participation de cette dernière à la résistance, qui reprend l’essentiel de ce positionnement. Pour lui, les Etats-Unis et l’Allemagne nazie doivent être renvoyés dos à dos, car ce sont deux Etats capitalistes. Jamais les communistes n'auraient dû appeler à la lutte contre les soldats allemands, car suivant l'idéologie de cette mouvance, sous tout uniforme peut se cacher un travailleur.

S’il y a un intérêt objectif à maintenir une ligne « léniniste » de résolution de ces stratégies contradictoires que sont : le Front-Populaire, le Front-Unique, le Classe contre Classe et de chercher à construire un possible chemin qui en découle, c’est que l’on voit mieux aujourd’hui les contradictions contenues à ne défendre unilatéralement que l’une d’entre elles.

 

Isolé du Front unique et du Classe contre classe, le Front Populaire, ne devient plus que l’expression du démocratisme petit bourgeois incapable de construire une rupture durable avec le système capitaliste, le Front -Unique constitue un pas en avant mais ne constitue pas plus une réponse cohérente à la disparition de l’Etat. Quant au Classe contre Classe, il résout bien la question de la disparition de l’Etat, mais ne nous donne aucune piste sur la mise en place d’une justice sans droits, ni sur une possible dialectique de disparition de la bourgeoisie dans une économie sans loi de la valeur et sans exploitation, indifférenciant activités productives comme improductives.

 

La lecture léniniste du déroulé historique en faisant  du sujet politique le seul sujet capable de résoudre la contradiction apporte une solution puisque son modèle implicite est celui d’une fonctionnarisation de tout sujet économique et social. La classe ouvrière ne représente un intérêt que pour autant qu’elle soit la classe miroir et antagoniste de la bourgeoisie capitaliste, elle n’a aucune valeur propre à faire valoir en dehors de celle portée par ses représentants politiques (le parti « ouvrier »), dès lors la passerelle naturelle avec les valeurs social-démocrates et républicaines peuvent jouer, notamment les jauressistes. L’Etat « s’éteint » car tous les sujets économiques ont comme devenir « être » la figure du fonctionnaire. Si l’Etat se généralise, s’absolutise, le sujet de droit se réalise dans l’Etat de droit et sa meilleure incarnation est contenue dans le statut de fonctionnaire. L’Etat s’éteint en devenant pure « administration » des choses, et tout sujet politique en est le représentant. Le sujet économique, lui, a son avenir contenu dans sa disparition, dans son expulsion du lieu de production par la mécanisation, l' électronisation du processus productif, autrement dit la subjectivisation de l'objet, il peut récupérer son temps d’activité, sous forme de temps libre et donc revenir aux temps pré-marchands.

 

Ce que nous constatons historiquement c’est que ce modèle ne fonctionne pas, ou mal, que la bureaucratisation et l’inefficacité à produire de la marchandise rationne le nombre et la qualité des biens et services produits, ce qui a précipité les masses d’Europe de l’est, aujourd'hui de Chine, demain de Cuba, à souhaiter le retour du capitalisme.

 

Nous devons donc réfléchir à un nouvel axe de résolution de ces contradictions. La Gauche Communiste du PCF peut en faisant entendre sa petite musique sur les limites et insuffisances de chacune des 3 stratégies y apporter sa pierre.

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