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(D.C.O)

" La dialectique est à la théorie du prolétariat ce que le parti est à sa pratique"                                                                                                                                                                               E . Balibar

Le Communisme Ouvrier comme lutte de tendances

« Le « parti de type nouveau » n’est jamais qu’une construction tendancielle. En l’absence de toute crise globale de la formation française et donc de l’appareil d’Etat, il tend, dès qu’il est confronté à des difficultés, à se redécomposer en une série d’organisations qui lui préexistaient et qui correspondent aux découpages imprimés au mouvement ouvrier français par les structures même de l’appareil d’Etat. Ainsi le Parti Communiste Français ne s’émancipe - t’il jamais totalement de sa double composante syndicaliste-révolutionnaire et social-démocrate »

 

                                                                                         Danielle Tartakowsky - « Une Histoire du PCF » -  Coll. : Politique aujourd’hui- PUF-1982

 

Concevoir la lutte des classes comme lutte de tendances, nous oblige à réfléchir au positionnement des 3 grands courants qui traversent la vie politique nationale (La Gauche, le Centre, La Droite) au sein de la société, avec les partis politiques, mais aussi comme courants d’expression au sein même de chacunde ces partis. Tous les partis politiques ont en leur sein une mise en expression de leurs valeurs et de leur idéologie, d’un point de vue de droite, du centre, et de gauche. Le parti communiste n’échappe pas à cette division, même si avec l’extrême-gauche il est évident que l’expression de gauche de l’idéologie communiste s’exprime essentiellement à l’extérieur du Parti Communiste Français. Mais pas plus que le PCF n’a été capable d’empêcher qu’apparaisse en son sein, à des rythme plus ou moins réguliers, tout au long de son histoire des courants d’expression de droite, il n’a pu empêcher la renaissance et le renouvellement de l’expression de sa gauche. Le problème de la gauche du parti étant qu’elle a été encouragée à se construire comme expression indépendante par les pères fondateurs marxistes du communisme, au premier rang desquels Lénine, lui-même. D’où la multiplication des organisations, qui constitue la maladie infantile des gauches du communisme.

 

 

L’interrogation sur la prégnance des anciennes sources idéologiques du mouvement ouvrier dans la création du P.C.F, comme le fait l’historienne communiste dans cette  synthétique histoire du parti, revient à s’interroger sur les causes de ce maintien et de cette résurgence. Comment se réagencent -elles à l’intérieur même du nouveau parti, pour  aboutir à les maintenir à travers toute son histoire. L’histoire du PCF est dans son essence, celle de la fusion de ses courants révolutionnaire et réformisme en un nouveau rapport, où rien n’est jamais acquis une fois pour toute dans la lutte de tendances pour asseoir une domination définitive. C’est pourquoi parler d’un noyau dur à jamais préservé, s’incarnant dans la mise en place d’une quelconque orthodoxie à conserver ou à retrouver, le mythe d’un parti définitivement unifié, correspond mal au rapport de la forme « Parti » telle qu’elle s’est historiquement construite, comme rapport délégataire et institutionnelle au sein de cette démocratie occidentale, vecteur important de l’impérialisme mondial, que constitue la France.

Cette construction « fictionnelle » en une unité idéologique, n’est pas sans nous rappeler celles des constructions politiques sur la pureté ou l’homogénéité des races, peuples ou nations (comme nous le démontre l’école des « nouveaux » historiens, notamment Etienne Balibar pour la France et l’Europe, et Shlomo Sand pour Israël).Elle nous oblige à retravailler la question de la permanence du réformisme à travers la diversité de ses formes, donc aussi au sein du pôle révolutionnaire , dans la configuration moderne et actuelle de la lutte des classes. Les mécanismes de leur reproduction aujourd’hui au sein du PCF. La « Nouvelle Histoire » nous apprend à nous méfier de nos propres croyances ou projections sur l’organisation idéale, ce que nous voudrions qu’elle soit. En un mot, elle nous oblige  à prendre conscience de la permanence de la lutte de classes comme lutte de tendances, ses formes concrètes d’existences, au sein même du PCF.

 

De son origine social-démocrate, le PCF  tire son goût pour la délégation dans l’Appareil d’Etat et son institutionnalisme qui assurent sa droitisation et son intégration idéologique sous domination capitaliste,  dans un rapport qui n’est pourtant jamais ni clair ni transparent, pour ses militants qui le vivent, en particulier ses élus.

Du  syndicalisme révolutionnaire, le PCF tire un activisme  basiste qui fait alternance au réformisme, durant les phases de fièvres sociales revendicatives où les fractions déqualifiées du salariat se rappellent à ses souvenirs, l’expression institutionnelle laisse alors la place à une « syndicalisation » de l’action politique en une multitude de conflits sectoriels, corporatistes, qui trouvent rarement à s’incarner (36/68) dans un moment politique, laissant les accords syndicaux de sommet reprendre le dessus et mettre en forme les « compromis » trouvés. C’est de ces deux rapports idéologiques à la politique dont Lénine disait qu’ils sont le bain naturel d’existence et de reproduction de l’aristocratie ouvrière, groupe sociologique, dont l’ancienne SFIO puis le PCF ont représenté les intérêts objectifs, que cette dernière a tiré sa domination de fraction de classe.

 

L’aristocratie ouvrière est composée de la couche supérieure de la classe ouvrière exploitée ou non, ses ingénieurs, techniciens, ouvriers hautement qualifiés, des nombreux salariés à fort capital culturel connaissant une plongée dans l’exploitation, mais aussi des fractions de la petite bourgeoisie de l’appareil d’Etat public et des salariés échappant au travail exploité mais pas à la prolétarisation.

L’aristocratie ouvrière a exercé historiquement sa domination sur l’ensemble de la classe, aujourd’hui, la crise de l’impérialisme la remet profondément en cause, elle se prolétarise et se paupérise. Pour maintenir son hégémonie corporatiste, c’est vers le fascisme qu’elle tourne maintenant ses espérances, rêvant y trouver une nouvelle structure d’ordre, même symbolique, capable d’assurer sa « domination », en déterminant, par exemple, qui peut se considérer comme faisant partie d’une main d’œuvre « nationale », donc apte à entrer librement dans le jeu de la concurrence intra-groupe, et qui doit vivre, ou survivre, à ses marges. Mais le fascisme n’a que faire de la classe ouvrière, fût-elle « aristocratie ouvrière ». Arme du capital, le fascisme, ne peut lui assurer comme il l’a toujours fait,  qu’une nuit des « longs couteaux », ou il lui règlera son sort. L’aile « gauche » du fascisme n’a qu’un seul avenir, son écrasement « stupéfait », par l’incompréhension de la nature profonde de ce qu’est le fascisme, comme bloc composite instable, ne tenant que par le « golpisme » permanent de ses dirigeants.

 

C’est pourquoi tout militant communiste a le devoir de s’interroger sur l’histoire de l’échec relatif de son parti à fournir à la classe ouvrière et aux milieux populaires (Le fameux prolétariat) l’arme de leur libération et la vision stratégique d’une société sans classes et sans Etat. Il ne peut plus y avoir de vision lénifiante de l’histoire du parti, comme il y eu naguère une vision agiographique de l’histoire de l’URSS, des blocs de l’Est, de l’Internationale Communiste et de ses sections. Il devient intolérable de présenter des points de vue qui ne retracent pas l’histoire de la lutte des classes tant à l’extérieur, qu’à l’intérieur du parti communiste. Une représentation du monde idéaliste, religieuse, d’une « église » ayant toujours raison, une histoire sans contradictions, une histoire linéaire vers la « lumière », un « progressisme » du toujours mieux, où hier étant le pire, aujourd’hui tout irait bien. Une telle histoire mensongère ne tient plus, ne passe plus, et devient franchement  intolérable quand il s’agit de soutenir la ligne du dernier « bloc au pouvoir » arrivé à la direction du parti.

 

C’est pourquoi nous prenons parti, nous nous engageons, dans la confrontation, nous ne taisons plus nos différences, nos divergences, face à l’imposition d’une unité supérieure du parti qui ferait que toute confrontation menacerait son unité. Ce qui menace l’unité du parti, c’est le refus de la résolution des contradictions qui le minent, c’est le  refus de faire émerger ce qui ne va pas, au nom d’une unité imaginaire. Le maintien d’une discipline « militaire » tiré du passé révolutionnaire  (ce qui n’est plus la ligne actuelle), imposée par l’urgence et la nécessité, elles-mêmes transformées en des absolues, car il y a toujours urgence et nécessité de ne pas discuter, d’accepter les coups de force, nous mettant aux pieds du mur.

 

En cela les groupes dirigeants qui se sont succéder à la tête de notre parti, comme il est fondamental de le souligner de toutes les institutions (partis, syndicats, associations etc.. appareil d’Etat), de ce point de vue ils sont tous dans le même sac, sont bien conduits par la pénétration des rapports bourgeois dans la politique.

 

L’idéologie bourgeoise nous mine, comme elle mine, l’ensemble de la société française, elle est liberticide. La chose la mieux partagée dans tous les groupes organisés de notre nation, c’est la domination des « chefaillons », c’est ce que disent un maximum d’adhérents (associations, partis etc.) dans les enquêtes d’opinion et qui explique le fort turn-over des adhésions et des engagements dans les organisations, les clubs et les associations, et de ce point de vue le P.C.F est bien devenu un parti comme les autres. Nous pensons que c’est ce que voulait le courant réformiste du parti, qui domine et trouve naturellement à se reproduire à la direction car il est le fruit naturel, de la délégation de pouvoir.

 

La domination des rapports bourgeois dans la vie politique et sociale encourage la délégation et la soumission, car il constitue le cœur de l’institutionnalisme, la permanence des organisations. Cela tout ceux qui s’intéressent aux sciences politiques, mais aussi aux sciences humaines (comme la psychologie des organisations, la socio-psychologie etc.) le connaissent parfaitement.

 

Cependant face à cette réalité, le marxisme présente encore l’avantage de nous fournir une solution, celle d’affirmer que le militant communiste comme le rappelle le « Manifeste Communiste » ne travaille pas d’abord à renforcer son organisation, il travaille d’abord à représenter le point de vue de l’unité, le point de vue de l’unification de sa classe. C’est pourquoi travailler à la résolution des contradictions bourgeoises qui minent l’action du parti révolutionnaire, par exemple son institutionnalisme, son acceptation de la délégation permanente de pouvoir, c’est travailler à résoudre la question de l’extinction du (des) pouvoir(s) d’Etat.

Refuser d’assumer la lutte des classes qui s’exprime à travers toutes les organisations, les institutions, les Appareils Idéologiques d’Etat, c’est en définitif refuser de s’attaquer aux contradictions qui minent le prolétariat, qui minent la classe ouvrière sur la route de leur unification, vers la société sans classes et sans Etat.

 

C’est pourquoi, il devient aujourd’hui urgent de requestionner les effets de la « léninisation » sur ces deux branches historiques du mouvement ouvrier qui ont précédé et construit le PCF, cette tentative historique d’unification et de dépassement « tendanciellement » révolutionnaire de l'ancienne division du mouvement ouvrier. En quoi cette greffe constitue t’elle pour nous une expérience précieuse, en quoi est-elle une avancée, mais aussi, où sont ses limites et pourquoi échoue t’elle partiellement à les faire disparaître.

 

Comme le réaffirme Danielle Tartakowsky, la bolchévisation du PCF, intervenue au milieu des années 20, consistant à transférer :  « les organisations de base du parti sur les lieux même de l’exploitation (qui) constitue une rupture avec la double tradition social-démocrate et anarcho-syndicaliste. Elle doit permettre de déplacer la politique sur un terrain que l’idéologie dominante française a jusqu’alors réussi à occulter comme tel »  p19.

est bien la forme que prend la tentative d'implantation de l'idéal de la gauche Communiste conduite par l'I.C.

 

En 24-26,  après la mort de Lénine, se développe une bataille d’idées sur son action et ses messages, rien n’est encore joué pour la gauche du parti, qui se divise en 3 grandes branches. Un cours  nouveau zinoviévisme, courant de gauche du M.C.I, partisan du « classe contre classe », dont Treint et Girault incarnent en France une mise en œuvre « sectaire » plus pensé comme un mot d’ordre politique à usage interne, que comme une tentative d’unification de la classe et de résolution de ses contradictions. Le départ de Treint après son exclusion, la création de son groupe « Le Redressement Communiste », le conduisent à des tentatives de rapprochements avec Trotski,  qui lui tente de maintenir l’idéal d’une ligne social-démocrate « révolutionnaire », celle de la gauche qui existait avant 1914, toujours présente dans une partie de la gauche du parti, Trotski a joué un rôle fondamental dans le développement du parti à sa création avec Souvarine ; en miroir et l’un ne va pas sans l’autre, ses amis syndicalistes révolutionnaires (Monatte et Rosmer) sont eux issus de la C.G.T, celle-ci a joué le rôle de foyer principal de résistance à l’opportunisme social-démocrate pendant la guerre de 14 et donc d’émergence de l’aile révolutionnaire. Cependant le syndicalisme est menacé par la bolchévisation, ils en combattent dès 23-24 les manifestations sectaires, mais sans comprendre la profonde originalité stratégique de la nouvelle ligne.

 

L’ouvriérisation de la base militante du parti, la mise en œuvre de la politique sur le lieu même de la production, dont se réclame le courant de la bolchévisation, cherchent donc à faire bouger les lignes d’agencement du réformisme et du syndicalisme « révolutionnaire » dans la forme « parti » tous deux tirent origines et sources de cette déviation droitière très particulière, qui consiste à surestimer le rôle des forces productives et sous-estimer celui des rapports de production. Cependant ce qui va rendre possible le maintien du réformisme, dans nouvelle configuration au sein du P..C.F, tient aussi à l’ambiguïté de la solution de cette première léninisation massive et de ses choix, de fait la problématique ouvriériste (qui est aussi au cœur du syndicalisme révolutionnaire), sa contrepartie réformiste comme expression institutionnelle de la politique, vont se transformer sans nullement disparaître.

 

En 1929, avant que le cours « ouvriériste » soit remis en cause par la mise en place de la stratégie de Front Populaire ( 1932-1935), sur les 20.000 militants du PCF ( SFIC ) recensés, 60% sont des ouvriers, c’est le moment où l’un d’entre eux, Pierre Sémard,  issu des cheminots, quitte la tête de l’organisation, Sémard étant essentiellement un syndicaliste, ce qui contribue à faire de cette branche de l’idéologie du P.C.F, dont proviennent Duclos, Frachon, Monmousseau, etc. une branche momentanément victorieuse par défaut (26-29). Mais l’aile syndicale n’a jamais dominé durablement le parti, ce sont en fait Barbé et Célor qui assurent la direction (1929-1932) qui incarnent pour la dernière fois le cours jugé sectaire, de la  « bolchévisation » avant à leur tour d’être exclus. Ensuite c’est l’aile social-démocrate qui reprend très vite le dessus, mais dans une configuration stalinienne du redressement, son implantation généralisée voit le parti se transformer d’avant-garde militante de révolutionnaires permanents en un parti de masses où l’adhésion change de nature.

 

La problématique purement prolétarienne de Thorez ne résout pas la contradiction et ne débouche pas sur le projet d’une véritable unification de la classe ouvrière. Le léninisme « stalinien », comme idéologie, ne remet pas fondamentalement en cause la question de la division du travail, la confrontation travail manuel- travail intellectuel, travail posté- travail autonome etc. etc., il laisse cela aux syndicats, ce qui confortera l’idée produit du  syndicalisme révolutionnaire que ces questions ne sont pas politiques mais techniques. D’autre part il se préoccupe de gagner idéologiquement la majorité des travailleurs en gagnant idéologiquement la majorité à l’intérieur des syndicats, ce qui revient à escamoter le parti au profit du syndicat sur les lieux de travail, à syndicaliser le regard politique sur la vie de l’entreprise,  à ne réserver l’expression partisane qu’à l’extérieur dans une démarche essentiellement institutionnelle (en gros gagner les élections). Le militant communiste devient donc syndicaliste dans son entreprise et institutionnaliste dans l’espace public. C’est la reprise de la vieille dichotomie dont se nourrissent les deux courants dominants, le courant social-démocrate et le courant syndicaliste  « révolutionnaire »..    

 

Dès 36, Thorez approfondit mais aussi rigidifie l’articulation luttes sociales et accords institutionnels, la vieille dichotomie est reprise et dogmatisée dans une lecture stalinienne. Mais politiquement c’est bien le pôle réformiste qui l’emporte celui de l’union institutionnelle, de l’union de la « gauche » et il ne fera plus qu’être déclinée dans une lecture de plus en plus droitière par ses successeurs.

 

En pleine domination droitière qui succède au stalinisme et avant le stagnationnisme, avec les évènements de 68 resurgit la question de l’ouvriérisation, elle fait sentir ses effets sur le courant communiste, on voit ainsi surgir une lecture marxiste-léniniste de ce phénomène et de cette pratique par exemple en Allemagne de L’Ouest avec la KAZ groupe qui nait à Hambourg ancien fief historique du Communisme des Conseils et sensibilité toujours présente au sein du DKP allemand du KPÖ autrichien (mouvance ayant depuis constitué le Parti des Travailleurs d'Autriche).

 

 Mai à la fin des années 70, le marxisme-léninisme dit : « ouvriériste », lui aussi, entre en crise comme le reste du marxisme –léninisme. En France, cette crise se traduit par la réaffirmation des limites du léninisme, son lien toujours présent, malgré ses différences profondes, avec le stalinisme, pour aboutir à sa remise en cause. C’est aussi la redécouverte par toute une sensibilité du marxisme-léninisme que la véritable nature du régime institué en URSS est bien dès le début un capitalisme d’Etat, et non pas comme les antirévisionnistes le défendaient jusqu’alors, une phase mise en œuvre depuis Khrouchtchev. C’est le constat en accord avec la Gauche Communiste (historique), que ce système devient dominant sous Staline, mais qu’il est bien né sous Lénine. Cependant pour la petite minorité qui ne renoncera pas au marxisme-léninisme et ne basculera pas dans la vogue de l’antitotalitarisme, une divergence frontale va se faire jour avec la G.C (historique).

Pour cette sensibilité dont nous sommes issus, le capitalisme d’Etat sous direction prolétarienne n’est pas un système purement réactionnaire nécessitant une nouvelle révolution pour chasser le groupe dirigeant, c’est au contraire une phase obligée par laquelle passe tout régime de transition à partir du moment où se maintiennent le pouvoir d’Etat, la marchandisation économique, la nécessité de l’accumulation primitive.

 

Le combat devient donc un combat contre la bureaucratisation de cette bourgeoisie d’Etat, bourgeoisie qui ne peut disparaitre tant que l’Etat existe. L’antitotalitarisme, sa haine des Etats socialistes, prend sa source, dans la non- reconnaissance par une partie de la G.C (historique), comme de l’anarchisme, de cette réalité comme phénomène inéluctable, ils en viennent ainsi à affirmer que l’Etat de transition par ses contradictions se révèle pire que les Etats capitalistes libéraux eux-mêmes, et que la révolution, pour y renverser le groupe dirigeant, devrait être encore plus forte que celle d’une révolution classique.

 

 De notre point de vue, la déviation introduite par le point de vue ultra politique de Lénine conduit à confondre procès de prolétarisation propre à la transition socialiste et procès d’ouvriérisation, nécessaire à la transition communiste. C’est au fond ce dont prend confusément conscience, en France, la mouvance althussérienne au moment où elle va elle-même entrer en crise, crise autant produite par sa surreprésentation sociologique dans le monde intellectuel que par son inexistence dans le mouvement ouvrier, laissant sa critique sans relais politiques, ce qui fait qu’elle ne pourra pas pousser jusqu’au bout l’analyse de la crise du marxisme-léninisme qu’elle a involontairement contribué à instaurer, cherchant à scinder ce qui relève de la pensée léniniste, et ce qui tient en propre de la déviation stalinienne, dans une problématique qui ne fut pas trotskiste. Cependant il convient aujourd’hui de constater que face à ce double procès, qui s’enchevêtre plus qu’il ne se confond et, confronté à l’avènement historique d’une phase longue de transition, beaucoup plus longue que les théoriciens du mouvement ouvrier ne l’avaient envisagée, il devient urgent de cerner les mécanismes concrets d’avancées vers la société communiste, ceci  face au risque de restauration du capitalisme libéral que le post –stalinisme s’est révélé incapable de juguler, tant en Europe de l’ Est , de l’Ouest, qu’en Asie.

 

Nous sommes obligés aujourd’hui de  constater le rapprochement de fait, des intérêts communs des 2 points de vue présents dans le mouvement ouvrier partageant la nécessité de défense des sociétés  en transition. La non diabolisation des Etats Prolétariens, la nécessité vigilante de leur défense,  revient à nous rapprocher du point de vue de la défense des Etats « Socialistes »  comme « Etats Ouvriers bureaucratiquement dégénérés », L’analyse des sociétés de transition comme « Capitalisme d’Etat sous direction prolétarienne (i.e : sous structuration idéologique et étatique mixtes : bourgeoise-ouvrière)  »,  la véritable nature dialectique de leurs analyses, implique la remise en perspective des concepts de  Révolution Permanente et de Révolution Ininterrompue dans la phase de transition, dans une confrontation moins antagoniste.

 

Trotski ne se trompait pas quand il s’interrogeait dans son célèbre ouvrage « La Révolution Permanente » : « Qui doit diriger la révolution : le prolétariat ou la paysannerie ? », posant ainsi la question de la direction idéologique du mouvement durant la première partie de la phase de transition, celle de la lutte entre propriété et non-propriété, entre petite- bourgeoisie et prolétariat, mais le bilan historique fait apparaître aujourd’hui qu’il convient d’y adjoindre cet autre questionnement issu du constat réaliste que le socialisme semble devoir être une période beaucoup plus longue que prévue,  la question frontale de la nature du nouvel Etat créé, face aux échéances de son déclin devient donc :  « Qui doit continuer le processus révolutionnaire, la classe ouvrière ou le prolétariat ? »

 

Trotski a eu raison d’attirer l’attention sur le fait que le concept de Capitalisme d’Etat est un concept hybride, une auberge espagnole, où chacun vient apporter ce qu’il juge relever de la critique, en un amalgame simplificateur, de la gestion étatique sous le capitalisme privé, ou de la gestion étatique dans ce qui devrait être un socialisme idéal. Ce qui fait qu’il devient problématique de désigner  par un même concept, une réalité sous domination capitaliste (privé), ou sous domination « socialiste ».

Mais il a eu tort de réduire le concept de capitalisme d’Etat à une seule réalité :

Celle d’une simple supervision gouvernementale de la direction d’entreprises rendues au secteur privé, comme celle du commerce intérieur et extérieur.

Car le capitalisme d’Etat désigne avant tout pour Lénine un rapport de production, comme le rappelle Robert Linhart dans son ouvrage « Lénine, les paysans, Taylor »  et la question de sa systématisation s’impose, pour le leader de la révolution d’octobre, dans le cadre d’une économie à reconstruire, cette question recouvre aussi celle du maintien d’une ligne hiérarchique de production et de gestion et celles-ci sont imbriquées à la question de la loi de la valeur et au maintien de la forme salariale.

 

C’est ce que Balibar rappelle. Lénine dans la définition qu’il donne de la Dictature du Prolétariat, ne commet pas l’erreur de confondre prolétariat et classe ouvrière, mais on peut considérer que la nécessité historique le conduit à sacrifier cette dernière au profit de celui-ci.

 

« Il ne faut pas oublier que Lénine est dans la tradition marxiste de son temps, le seul théoricien, je dis bien le seul, car sur ce point il se sépare aussi bien de l’opportunisme de droite à la kautsky que du gauchisme et même d’authentiques révolutionnaires comme Rosa Luxemburg, le seul à n’avoir jamais eu une conception « ouvriériste » de la dictature du prolétariat, c'est-à-dire une conception économiste et mécaniste du pouvoir d’Etat de la classe ouvrière. Pas de  dictature du prolétariat si elle ne réussi pas à tisser avec les masses de solides liens politiques, économiques et idéologiques. »

                                                               Etienne Balibar « Sur la Dictature du Prolétariat » 1976- Edition Maspéro- Collection Théorie.

 

Si Lénine n’a pas une vision ouvriériste de la D.D.P, c’est que Lénine pressent que la D.D.P à pour mission de résoudre d’autres contradictions que la mise en œuvre d’une quelconque « dictature » directe de la classe ouvrière (nous préférons, nous, parler « d’Hégémonie » car la domination ouvrière qui pose la question de l’avènement de la société communiste est par essence anti-étatiste elle est donc antidictatoriale), par exemple celles d’achever le procès de prolétarisation en unifiant les producteurs autour d’une définition autre que celle de la propriété individuelle, par la mise en place d’une propriété publique à travers la propriété d’Etat ou la propriété coopérative ; de travailler les questions de l’investissement et de la répartition du surproduit dans des sens redistributifs, donc de mettre en place une planification, ce qui ne relève pas effectivement des missions ni du statut de membre de la classe ouvrière.

 

Par contre on pourrait reprocher à cette conception d’affirmer que la fonction technico-administrative dont relèvent plus justement ses attributions, exprimeraient dès lors un quelconque pouvoir direct, un pouvoir « politique » de cette même classe, ce qui a conduit Lénine y compris à la fin de sa vie, à penser que le technico-administratif relevant essentiellement de l’idéologique il suffisait de faire pénétrer plus de "conscience" ouvrière dans la sphère de l’Etat pour contrebalancer sa bureaucratisation, en élargissant par exemple le nombre d’ouvriers présents dans l’appareil d’Etat, comme il l’a préconisé dans ses dernières lettres, alors que c’est l’existence même de l’Etat et son maintien qui s’oppose à l’avènement de la classe ouvrière, c’est là où le bât blesse.

 

Autant dans toutes les sociétés de classes qui ont précédé le socialisme, le statut de fonctionnaire de l’Etat de classe n’était pas en contradiction administrative, ou technique, avec le groupe dirigeant politique (les fonctionnaires servaient une classe qui en exploitait une autre et leurs rôles comme leurs statuts, mais aussi leurs revenus, étaient en conformités avec cette nature et cet essence de classe : non productifs, non exploités (ni esclaves, ni serfs, ni ouvriers, etc.)), autant dans un « Etat » « Ouvrier », c'est-à-dire un Etat qui rompt et même plus qui inverse l’existence des sociétés classes, il devient problématique d’être « fonctionnaire » d’un « Etat »qui entend rompre avec l’existence de catégories improductives, précisément parce que faire fonctionner un Etat relève d’une fonction improductive. Productif  c'est-à-dire exploité, c’est précisément le statut que donne Marx à la classe ouvrière, ce qui ne se réduit pas à la catégorie « sociologique bourgeoise » d’ouvrier comme activité, comme métier.

 

En effet, maintenir un Etat qui présente une structure administrative et technique identique à un Etat capitaliste présente le risque d’aboutir à terme à une restauration de l’ancien système.

 

C’est sur cette contradiction qu’Etienne Balibar attire l’attention.

 

« Le fait qui se découvre ainsi, nous pouvons l’énoncer sous une forme générale : les classes exploiteuses et la classe exploitée qui pour la première fois dans l’histoire et en raison même de sa place dans la production, est en mesure de prendre le pouvoir pour elle-même, ne peuvent exercer leur pouvoir (et même leur pouvoir absolu : leur « dictature ») par les mêmes moyens et donc dans les mêmes formes. Elles ne le peuvent pas, non au sens d’une impossibilité morale, mais au sens d’une impossibilité matérielle : la machine de l’Etat ne fonctionne pas du tout, ou bien elle fonctionne mais pour le compte de quelqu’un d’autre, qui ne peut être que l’adversaire de classe. Il est impossible au prolétariat de conquérir, puis de garder et d’utiliser le pouvoir politique en se servant d’un instrument analogue à celui qui servaient aux classes dominantes, ou bien il perd nécessairement sous une forme ou une autre  « violente » ou « pacifique »  p 96

- La Rectification du Manifeste Communiste - 5 Etudes du Matérialisme Historique. Maspéro 1972 coll: Théorie.

 

C’est précisément ce qu’il advient après que Staline ait stabilisé l’appareil d’Etat soviétique, puis renforcé voire même hypertrophié, ses structures administratives et répressives calquées sur les appareils capitalistes, empêchant définitivement que l’Etat Prolétarien ne se transforme par dépérissement en « non-Etat » en une structure d’organisations prolétariennes sous contrôle ouvrier.

 

Car il faut pour cela nous rappelle Balibar, à la fois que des formes nouvelles d’organisation politiques surgissent pour exprimer la mise en place d’un nouvel appareil d’Etat, mais il faut aussi par une deuxième condition tout aussi importante que :

 

« La pénétration de la pratique politique dans la sphère du « travail » de la production. Autrement dit, la fin de la séparation absolue, développée par le capitalisme lui-même, entre « politique » et « économie ». Non pas au sens d’une « politique économique » ce qui n’a rien de nouveau, ni même seulement le « pouvoir politique » au travailleur, et sans cesser de l’être, le transfert, dans la sphère de la production, de toute une partie de la pratique politique. Ainsi on peut penser que le travail, et avant lui ses conditions sociales, devient non seulement, une pratique « socialement utile » et « socialement organisée », mais une pratique politique. »    p 98.  

(R.M.C) -5 études du Matérialisme Historique-Maspéro 1972

 

Cette révolution développera en écho, en dialectique, ses effets au sein même de l’appareil d’Etat, elle imprimera au pouvoir politique une structuration de la division du travail qui constitue la forme sous laquelle s’exerce l’hégémonie de la dictature de classe. La structuration technique et administrative du pouvoir d’Etat devient aussi importante dans la constitution de la domination, que l’expression directe de la supériorité idéologique ou celle du maniement réel ou symbolique de la violence.

 

« “La déformation bureaucratique“ n’est pas un simple accident, elle n’est pas un simple héritage de temps très anciens qui aurait disparu avec le capitalisme avancé (dont nous avons-nous-mêmes sous les yeux le formidable développement bureaucratique auquel il conduit !), elle est, à des degrés inégaux et sous des formes évolutives, inhérente à tout Etat, « à la division du travail » qu’il comporte. En fait c’est donc dans l’Etat Prolétarien lui-même que passe la contradiction ».

                                                                                                                   

p 119. Etienne Balibar - "Sur la Dictature du Prolétariat "- Maspéro 1976

 

Cette question de la distinction entre pouvoir « politique » et pouvoir « technico-administratif » est bien analysée par Marta Harnecker :

 

« - Si l’on veut combattre l’idéologie sur l’Etat, il faut partir de ses thèses mêmes et montrer comment les fonctions technico-administratives dissimulent les fonctions de dominations politiques

- Affirmer la seule fonction de domination politique conduit à des erreurs de type “volontariste“, à concevoir l’Etat comme un produit lié exclusivement à la volonté de pouvoir des classes dominantes. En réalité, celle-ci ne crée pas un Etat qui serve leurs intérêts de classe : elle utilise un appareil juridico-politique existant, en le modifiant pour mieux atteindre leurs objectifs de classe. La fonction sociale ou technico- administrative que remplissait cet appareil sert de base à la domination politique ».

                     p101.« Les concepts Elémentaire du Matérialisme Historique » nouvelle édition refondue L’Harmattan 1992.

 

Si la forme que prend le technico-administratif devient l’expression sous laquelle s’exprime la domination de classe, il devient tout aussi illusoire de croire qu’il peut « démocratiquement » échapper à la domination capitaliste et au pouvoir de la bourgeoisie. C’est pourtant ce à quoi l’aile « italienne » de l’althussérisme va aboutir en se servant pour cela d’une lecture réformiste de la pensée d’Antonio Gramsci faisant glisser le concept d’Hégémonie d’une lecture anti-Etatiste de la transition, comme « Dictature » à une lecture réformiste des fonctions de l’Etat. L’Etat capitaliste moderne ne pourrait plus tomber dans une confrontation directe avec le peuple, sa capacité à s’opposer aux tentatives insurrectionnelles ferait que désormais, il ne peut plus être considéré comme un espace à conquérir, mais bien plutôt une forteresse, constituée d’une série de casemates à « subvertir », c’est la stratégie que l’aile gauche du réformisme au sein du P.C.F et ses amis (Poulantzas, Kaisergruber, Buci-Glucksmann etc.) vont désormais se fixer. La tâche d’apporter à travers le compromis « historique » à la française (le programme commun), l’idéal d’une conquête par des « valeurs » de gauche, de l’appareil d’Etat, plus prosaïquement des Appareils Idéologiques, étant entendu qu’il serait « gauchiste » d’imaginer conquérir, les Appareils Répressifs. Il s’agira donc de conquérir idéologiquement l’ensemble du corps des fonctionnaires pour les gagner à la réforme et aux tâches démocratiques. Il faut pour cela pratiquer une relecture wébérienne du marxisme, ceci finira malheureusement en toute bonne logique par déboucher sur du wébérisme pur, et son expression politique le réformisme tout aussi pur, où nos amis finiront par se dissoudre et disparaître.

 

 

Le communisme « prolétarien » par la non-articulation dialectique du dépérissement de l’appareil d’Etat et  l’avènement d’une ère ouvrière généralisée, nourrit les confusions gauchistes sur la démarchandisation, la désalarisation, reprises transformées du christianisme social et de son expression moderne: l’écologisme alternativo – réformiste. Il  ne s’attaque qu’au libéralisme du marché. Il confond abolition du capitalisme privé et extinction du capitalisme d’Etat, mise en place technico-administrative d’une comptabilité nationale en temps de travail, d’une planification administrée et négation des décisions d’achat du consommateur moderne. Il aboutit nous en sommes persuadés, ce que nous confirment les derniers développements des crises chinoises et cubaines aujourd’hui, à l’hypertrophie d’une petite bourgeoise d’Etat à caractère bureaucratique,  constituant un frein à l’avènement de la classe ouvrière comme classe universelle, produit de sociétés de rationnement et de files d’attentes par leur nature improductives et ne trouve de solutions qui contrebalancent son inefficacité, que par la réintroduction du marché privé. Il entraine l’éternisassion du droit, de la loi, confond avènement historique de la classe ouvrière, et l’advenue généralisé d’un salariat improductif bureaucratique.

 

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